Pour s’imposer au plus haut niveau dans un sport, il est nécessaire d’avoir un impératif de succès et de disposer des moyens pour réussir. La surreprésentation d’un groupe social ou d’un genre dans la pratique et la réussite d’une discipline sportive n’est donc pas un phénomène naturel.
Chaque sport a sa classe sociale privilégiée et une orientation de genre. Il a aussi ses pays, en fonction de leur position économique et/ou de leur localisation géographique.
La boxe, par exemple, est un sport très majoritairement ouvrier. Le sociologue et authentique boxeur Loïc Wacquant explique parfaitement dans son ouvrage « Corps et âmes » comment répétition du geste, discipline quotidienne et pratique du combat sont des critères qui répondent à une condition prolétaire. Ceci explique pourquoi les pays du bloc soviétique et Cuba ont marqué l’histoire de la boxe amateur (celle des Jeux Olympiques).
La boxe professionnelle, qui permet très rarement à un athlète de gagner beaucoup d’argent, est aussi le révélateur de la composition de la population se situant au bas de l’échelle sociale d’un pays. En pratique, on ne trouve pas beaucoup de boxeurs professionnels qui viennent des beaux quartiers ; à l’opposé, très peu de gitans deviennent des champions de golf ou de polo.
Durant les années 80, les conservateurs américains ont repris la vieille thèse raciste selon laquelle les afro-américains dominaient la boxe pour des raisons physiologiques. Ils ont tenté, à travers des études scientifiques, de prouver que les afro américains avaient un cerveau plus petit, les rendant moins sensibles aux commotions cérébrales et aussi moins capables de réussir dans les études. L’objectif de cette démonstration était de donner une explication « naturelle » à la hiérarchie sociale et à la surreprésentation des noirs dans les classes populaires.
Bien évidemment, tout cela a été démenti par les faits et les analyses biologiques.
Cette théorie a été définitivement discréditée dans le courant des années 90 lorsque les latinos, considérés comme plus proches des blancs par les conservateurs et les suprématistes blancs, ont commencé à battre les noirs. Il a fallu se rendre à l’évidence : ce qui fait aller au charbon pour exceller dans une discipline sportive telle que la boxe, c’est avant tout la faim. Une corrélation a pu être établie à ce moment entre la réussite en boxe et les quotas de l’affirmative action pour entrer en fac.
Aux Etats-Unis, les latinos sont ceux à qui l’on demande le moins de points dans le cadre des tests d’entrée à l’Université – non pas parce qu’ils ont un cerveau plus petits, mais parce qu’ils sont plus pauvres et donc moins instruits.
Au-delà de la classe sociale, le genre oriente également fortement la pratique sportive.
La Gymnastique Rythmique et Sportive demeure très largement réservée aux filles, au motif qu’il s’agit d’un sport « gracieux ». Il n’existe pourtant aucune contre-indication à ce que les hommes pratiquent cette discipline. La féminisation de ce sport est donc le produit d’un déterminisme culturel, lié aux représentations du corps dans la société. A l’inverse, une femme qui lance le poids est souvent qualifiée de « bonhomme ».
Dès qu’une femme brille sportivement, ses performances sont comparées avec celle d’un homme. Quand elle réussit trop bien, on met en doute le fait qu’elle soit réellement une femme.
La focalisation sur les individus et la remise en question de leurs caractéristiques personnelles servent alors à ne pas regarder les dysfonctionnements qui sont à la base des sociétés libérales : le pourquoi de la compétition entre individus, la place réservée aux femmes dans la hiérarchie sociale, etc. Les représentations du monde sportif servent ainsi à renforcer les distinctions au sein de la société et à faire l’apologie de la réussite individuelle présentée comme un résultat naturel. Beau retournement des choses : la conséquence des inégalités devient l’explication d’une hiérarchie liée à un ordre naturel.
Si la pratique sportive marque une appartenance sociale et de genre, elle est aussi conditionnée par l’accès aux installations nécessaires, en lien avec leur coût et les normes sociales associées.
Une piscine constitue une installation relativement chère à la construction et à l’entretien ; un semblant de piste d’athlétisme se trouve partout, de même que le cross peut se pratiquer en pleine nature et qu’il suffit d’un bout de terrain et d’un ballon pour jouer au football.
Les noirs demeurent, à travers le monde, en situation économique défavorable. Pour un certain nombre d’entre eux, un des moyens d’élévation sociale est alors de réussir dans un sport auquel ils ont facilement accès, ou bien dans lequel ils sont moins en compétition avec d’autres (souvent parce que ce sport est dur ou ingrat). Le fait de miser sur une carrière sportive en sacrifiant ses études avec l’assentiment de la famille révèle ainsi, non pas une prédisposition naturelle, mais avant tout une condition économique et sociale précaire.
Contrairement aux idées reçues, les noirs et les non européens n’ont pas toujours été perçus comme des athlètes potentiellement intéressants. Le fait que les européens aient gagné les guerres coloniales faisait d’eux des hommes plus forts – la question de l’équipement militaire ayant été soigneusement évacuée.
Jusqu’aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936, l’inconscient collectif de la planète se représentait les noirs comme faibles physiquement. Ces derniers avaient perdu leurs guerres face aux européens et vécu l’esclavage. Jesse Owens a ensuite remis les pendules à l’heure.
Aujourd’hui, a contrario, les noirs sont perçus comme ayant des capacités physiques différentes voire « animales ». Le racisme s’adapte aux époques comme disait Frantz Fanon.
Dans les faits, les kenyans raflent tout dans les épreuves de course d’endurance pour les mêmes raisons que les scandinaves dominent le ski de fond : la pratique régulière, dans des conditions proches de la compétition. Ces deux disciplines reposent sur la Vitesse Maximale Aérobie d’un athlète. Le vainqueur est celui qui possède les meilleures capacités pulmonaires et cardio-vasculaires (en clair, la meilleure endurance) et aussi sur une maîtrise technique supérieure (de la foulée pour les coureurs et des différents pas pour les skieurs).
Les skieurs scandinaves et les coureurs kenyans ont potentiellement les mêmes capacités d’endurance. Ce qui fait la performance, c’est la pratique et la technique : les neiges du Kilimandjaro ne permettent pas de skier régulièrement et il est impossible de courir sur un sol enneigé.
La technique est primordiale dans le sport, parce qu’elle fait la différence. Elle est le fruit du travail et d’une méthode, le résultat de l’implication et de la constance. Elle contredit l’idée d’une supériorité sportive liée à la « race ». L’histoire de Victor Younki dit « Young Perez » en est la meilleure preuve. Juif tunisien, champion du monde poids mouches dans les années 30, il a été déporté à Auschwitz III. Le commandant du camp a voulu organiser un match entre Perez (bien affaibli) et un poids lourd allemand, pour démontrer la supériorité de la race aryenne. Après douze rounds, l’arbitre n’a pas pu déclarer l’allemand vainqueur. La technique faisait encore la différence, malgré la différence de taille et de condition physique.
Les kenyans ne représentent pas l’ensemble des « noirs ». Les scandinaves ne sont pas l’intégralité des « blancs ». Caster Semanya court après le record de la tchèque Jarmila Kratochvilova. Le recordman du triple saut reste l’écossais volant Jonathan Edwards, en attendant que Teddy Tamgho le dépasse peut être un jour.
En sport, la distinction entre blancs et noirs ne veut rien dire. On trouve des haltérophiles et des marathoniens aussi bien chez les blancs, que chez les noirs ou les asiatiques. Les seules couleurs qui comptent sont en réalité celles des fibres musculaires : blanches (aux capacités explosives) ou rouges (associées à l’endurance). Ces fibres sont désormais désignées par des termes scientifiques liés à leurs caractéristiques. La diversité morphologique se retrouve partout, quelle que soit la couleur de peau, y compris au sein d’une même famille.
La meilleure illustration que tout est une question d’investissement et non d’appartenance à un groupe ethnique en matière de sport de haut niveau se trouve être la réussite actuelle des athlètes chinois.e.s dans toutes les disciplines sportives.
Il n’y a plus aucune compétition sportive internationale où les athlètes de ce pays ne s’illustrent pas. La raison en est toute simple : le gouvernement de la République « populaire » de Chine veut contester la première place mondiale aux Etats-Unis, y compris en matière sportive, et s’en donne les moyens.
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