Après Farida Belghoul, c’est au tour d’Eric Zemmour d’alimenter la polémique sur une maltraitance sexuelle infligée aux enfants par le biais de professeurs obéissants aveuglément au ministère de l’Education nationale. Un programme de lutte contre les discriminations sexuelles ou pour aider des adolescents en souffrance se transforme en complot « socialiste » contre la famille. Cette rumeur suffit à mettre bon nombre de personnes qui auraient pris le billet offert par Youssoupha dans la poche de Zemmour.
Etrangement, quand Zemmour parle des quartiers, il ment ; mais quand il parle des homosexuels et de l’école il devient crédible.
En regardant les faits, on s’aperçoit que le programme qu’Eric Zemmour dénonce n’est pas tel qu’il le raconte et surtout qu’il a été mis en place par l’UMP. Au-delà du factuel, il y a toujours en arrière fond cette panique morale et son exploitation par nos ennemis.
Comment en est-on arrivé là ? Il y a bien sûr le fait que le PS au pouvoir s’empresse systématiquement de faire des cadeaux à ceux qui ont voté contre lui pour ne pas les contrarier. La ligne « terra nova » s’est imposée : on a tourné le dos aux préoccupations concrètes des classes populaires.
Au sein de la gauche radicale, c’est le marasme et l’incapacité à renouer avec les classes populaires sur des actions ou des mots d’ordres audibles.
Pour les quartiers populaires, deux alternatives apparaissent alors séduisantes : soit l’acceptation de la ligne PS pour limiter la casse ; soit la posture de pseudo-révolte aux côtés des droites.
Le ralliement au PS a déjà montré qu’il était davantage porteur de frustrations et d’instrumentalisations en tous genres que de progrès réels.
L’unité des droites, quant à elle, se fait sur la désignation de coupables, qu’il faut chasser au nom d’un ordre naturel dont le groupe majoritaire est le garant. Certain.e.s d’entre nous peuvent penser qu’adopter de positionnent permettra de gratter quelques miettes lorsque la droite reviendra au pouvoir sous l’une de ses formes. Cette option a cependant régulièrement montré à qu’elle était dangereuse et contre-productive.
Dans les deux cas, on assiste à une capitulation face au libéralisme économique. Le PS a déjà clairement annoncé la couleur. Zemmour et les « antisystèmes » autoproclamés (comme le FN et ses sbires), quant à eux, ne proposent aucune remise en cause du système économique et social. Au contraire, ils promettent la validation et l’accentuation des inégalités.
Du PS au FN, il n’y a de discussion que sur la forme sociale que doit prendre le capitalisme.
D’un côté, on a le PS et certaines figures de droite qui clament que n’importe qui peut réussir dans le libéralisme et que le succès n’est pas une affaire de couleur, d’orientation sexuelle, de genre ou de classe sociale. Ce qui est faux.
De l’autre, ceux qui revendiquent la nécessité d’une appartenance des dirigeants à une même culture, avec une conception du monde qui justifie leur place de dominant en raison de l’essence même de ce qu’ils sont.
En gros, dans ces affaires de « mariages et manif pour tous » et autres, on nous demande juste de choisir à quel degré de libéralisme nous préférons être cuits.
Si le libéralisme proposé par le PS semble aujourd’hui délirant pour bon nombre d’entre nous, c’est vite oublier que le libéralisme de l’UMP nous a fait tout aussi mal et que celui du FN est brutal, sans pitié et sans aucune protection sociale ni moyen de défense (suppression des syndicats, chasse à l’étranger, présomption d’innocence pour la police, etc.).
Le désespoir et le sentiment d’impuissance qui nous tiennent aujourd’hui sont tels qu’on ne lutte plus pour des objectifs qui peuvent changer notre vie et l’améliorer. On se retrouve empêtrés dans des débats moraux sur la PMA et l’euthanasie. Peu de gens qui débattent de tout cela sont concernés directement.
Chacun.e s’érige en juge et donne son avis sur ce qu’il y a avant et après la vie, mais autour de ce qu’il advient de nous ici-bas, c’est la résignation et le silence.
On nous demande de prendre part à des réquisitoires contre la parentalité homosexuelle, on explique que l’école publique et gratuite est un lieu de débauche satanique. Et ça marche, alors que les problèmes concrets sont tout autres.
On nous demande de nous positionner dans un débat entre deux factions de la société dont les intérêts économiques divergent des nôtres.
Pourquoi ne parle-t-on pas plutôt des familles monoparentales ? Combien de femmes seules tentent d’élever au mieux leurs enfants ?
Les couples avec enfants qu’on nous vend comme piliers de la société explosent sous la pression économique. La femme reste la prolétaire du prolétaire, comme le disait Thomas Sankara :
« Un homme, si opprimé soit-il, trouve un être à opprimer : sa femme ! »
Quand la situation devient insupportable (emplois en intérim, horaires délirants, gamins qui grandissent seuls, etc.), le couple explose. Ce sont les mères qui constituent alors la dernière digue dans nos quartiers. C’est le lot de trop nombreuses familles. Voilà le quotidien et ses problèmes concrets.
Dans ces circonstances, le discours qui fait l’éloge du papa et de la maman avec des enfants sages fait recette : c’est le rêve. C’est la victoire de Margaret Thatcher : « il n’y a pas de société mais des individus et des familles. »
Tant pis pour celles et ceux dont le foyer a volé en éclat. Pour eux, plus de sécurité sociale, plus de solidarité. Il ne reste plus que la prière. Chacun pour soi.
L’instruction à l’ancienne ne permet pas de régler les problèmes sociaux. La cours de récréation est le reflet de son époque. Les manuels scolaires ne font pas la réussite sociale. Forts de nos inquiétudes, on est tenté d’aller vers les voix qui expliquent que l’on va combattre le diable. Seulement voilà, celles et ceux qui crient au loup n’ont pas de réponse, excepté désigner un ennemi fantasmatique. La prière seule ne remplit pas l’assiette et ne paye pas le loyer. Pour citer de nouveau Sankara :
« Ni le coran, ni la bible, ni les autres n’ont jamais pu réconcilier le riche et le pauvre ! »
Tout cela n’est qu’un leurre, parce qu’une partie des dominants refuse toute évolution du système économique qu’elle a contribué à mettre en place. La société libérale est l’aboutissement du capitalisme et se concrétise par un individualisme absolu. Une partie des possédants refuse cet état de fait car elle veut conserver l’héritage et la mainmise sur des privilèges qu’elle considère comme naturels et irrévocables. C’est aussi le symbole de l’Europe qui ne veut pas perdre sa première place mondiale et qui se voit lentement mais sûrement décramponnée par d’autres puissances.
Pour mener son combat, cette partie des possédants a besoin de fantassins. C’est ainsi que se font enrôler certains croyants, pour œuvrer au rétablissement d’un ordre soi-disant naturel.
Lorsque Soral et Zemmour demandent s’il est normal que Pierre Bergé ait du pouvoir et s’en serve pour lutter en faveur des droits des homosexuels, ils tentent de nous détourner des vraies questions : est-il normal que l’on puisse détenir un pouvoir supérieur à celui des autres et sur quoi se fonde ce pouvoir ?
Ils font de ce riche une personne « de gauche » parce qu’il affiche son homosexualité tout en étant un homme d’influence dans les cercles PS (tout en pesant moins que le MEDEF). Pour eux, le pouvoir devrait toujours être habillé comme au temps des rois. En faisant référence à cet « âge d’or », ils occultent le fait qu’à cette époque, l’homosexualité existait déjà.
Ces questions sur la nature du pouvoir, de ses détenteurs et de son exercice opèrent un clivage, chez les croyants comme chez les athées.
Il n’y a pas plus de « LGBT » aujourd’hui qu’avant. Le pouvoir n’est pas dorénavant aux mains des homosexuel.le.s. Ce fantasme est utilisé parce que certains dominants veulent garder leur pré carré en période de crise et masquer les restructurations économiques qui vont dans leur sens.
L’homosexualité existe depuis toujours et n’a jamais été un élément déterminant pour construire les rapports de classes. Pour certains qui évoquent le monde grec comme référence culturelle, cela devrait être une évidence. L’idée selon laquelle la religion, le chacun chez soi et la famille traditionnelle protégeraient des souffrances morales et des violences sexuelles est absurde. L’Église catholique est régulièrement condamnée pour des faits de pédophilie. A population égale, il n’y a pas plus de violences sexuelles dans les quartiers urbains multiculturels que dans les zones rurales enclavées. En France, plus de 70% des viols sont commis par des proches de la victime et 25 % par des membres de la famille.
Quant à l’école, pour celles et ceux d’entre nous qui ont déjà mis les pieds dans un collège de quartier : les filles qui tombent enceintes, les humiliations et les conduites à risque sont monnaies courantes et ne sont pas le fruit de l’enseignement ou de militants LGBT introduits dans le plus grand secret dans les classes. L’Éducation Nationale est à la ramasse, mais n’est pas une institution qui organise des orgies.
En revanche, il est tentant de vouloir y croire pour se cacher certaines choses.
La société est violente, il est hélas logique que les mômes subissent et reproduisent cette violence. Comment fait-on alors pour trouver des solutions adaptées ?
Ceux qui nous vendent aujourd’hui la Tradition comme remède aux problèmes économiques agissent avec duplicité.
D’une part, ils détournent sciemment l’attention des vrais problèmes et proposent de laisser les injustices perdurer en les occultant. D’autre part, ils agitent le spectre de la maltraitance sexuelle des enfants, résultant d’une supposée perversion morale des institutions (par les homosexuel.le.s notamment), sans proposer de solution viable pour l’ensemble de la société. De surcroît, ils s’emploient à culpabiliser celles et ceux qui tentent de faire comprendre que ce ne sont pas là les vrais problèmes et qui agissent concrètement sur le terrain.
Que l’on soit croyant ou non, il y a deux choses impardonnables.
La première est de se mettre en posture de supériorité et de juger ses semblables pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils font. De la même manière que l’on dénonce l’islamophobie, le racisme, le sexisme et les oppressions sociales comme des attaques à l’encontre de ce que sont les gens, on ne peut laisser passer les discriminations à l’encontre des homosexuel.le.s.
A cet endroit, il faut se rappeler que les luttes des minorités contre les discriminations et l’injustice ont toujours servi l’intérêt général.
La seconde est de dénoncer des choses aberrantes et outrancières, de manière totalement hypocrite, pour se mettre dans le sillage des puissants qui commettent et perpétuent l’injustice, et ce dans le seul but de se valoriser et de profiter précisément du système. Le confort et la flatterie des mensonges de Zemmour font sentir à certaines personnes ce que signifie être du côté des puissants et de la « morale ».
Si Zemmour et la Manif pour Tous et autres opportunistes se souciaient vraiment des enfants, ils ne s’en serviraient pas pour leurs stratégies politiques et ils n’insulteraient pas celles et ceux qui tentent au quotidien de leur donner des repères et de les élever dans le merdier actuel.
Parce que pendant ce temps-là, de leur côté, ça va plutôt bien. La bouffe est bonne et la maison bien tenue : les leçons de morale ne servent qu’à conforter leur position de dominant en nous faisant passer pour des arriéré.e.s ou des dépravé.e.s .
De l’autre côté, trop d’entre nous tolèrent aujourd’hui que l’on crache sur les gens, du moment qu’ils ne sont pas la cible du mollard.
Face aux injustices, il faut se battre. En tolérer une, c’est reproduire un schéma de domination et renforcer le « système ».
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