Un média a beau clamer son indépendance, parler de liberté d’expression et de déontologie, il a toujours une ligne éditoriale. Même si cette ligne n’est pas assumée au grand jour, elle transparait toujours dans le choix des sujets ou la manière dont ils sont traités.
Accoler l’adjectif « libre » à un media c’est souvent se payer de mots. C’est comme pour « l’école libre », qui n’est en fait qu’une école confessionnelle privée. On peut être pour ou contre mais c’est une école confessionnelle gérée par des intérêts privés. La nommer école libre c’est se moquer des gens. C’est leur vendre une idée et le rêve qui va avec pour légitimer le concept d’une école religieuse et payante.
Très souvent, l’utilisation de l’adjectif « libre » est là pour masquer des réalités peu glorieuses. Tel était le cas, par exemple, avec les « freedoms fighters », ces fameux combattants de la liberté de la guerre froide qui étaient en fait les larbins de l’impérialisme américain face au bloc communiste et aux luttes de décolonisation.
Dans nos quartiers, chacun sait que, quand on s’embrouille, quelqu’un en arrive presque toujours à lâcher un : « d’où tu me parles ? » Au-delà du réflexe, cette formule est aussi une question de bon sens. Elle pointe un véritable enjeu : comprendre d’où l’autre nous parle.
Cette question, chacun devrait se la poser avant de prendre pour argent comptant les postures médiatiques, surtout quand elles sont portées par des intitulés ronflants et pétris de liberté. D’où tu me parles avec ton blog, ta page Facebook, ton site, ta chaine de télé … ?
A Quartiers Libres, nous parlons à partir des expériences de la gauche révolutionnaire à visée sociale, anticolonialiste et anti-impérialiste, celle qui s’appuie partout dans le monde sur les classes populaires comme moteur de l’histoire. Nos maîtres à penser sont, entre autres, Marx, Guevara, Davis, Fanon, Lumumba, Nkrumah, Malcolm X, Ben Barka, Cabral, Sankara. Nos parents et les anciens du quartier nous ont transmis la nécessité de la lutte. Nos maîtres à penser et nos référents, nous ne les cachons pas, bien au contraire.
D’où tu me parles ? Face aux discours médiatiques, cette question mérite toujours d’être posée et pas seulement à TF1, à BFMTV et aux autres gros médias, dont chacun sait aujourd’hui qu’ils ne sont pas neutres car tenus par des intérêts privés, ce qui les amène à défendre les intérêts de leurs bailleurs de fonds.
Les PME médiatiques dites libres ne sont pas plus objectives. Elles ont, comme les structures militantes, un parti pris idéologique. Le problème c’est quand elles masquent ce parti pris et nous prennent ainsi pour des imbéciles. C’est le cas, par exemple, de l’Agence Info Libre.
Cette agence journalistique explique ne pas avoir de positionnement politique et revendique une totale objectivité. Son argument de neutralité est fondé sur le fait qu’elle traite de sujets d’actualité différents et qu’il lui arrive de donner la parole à différents protagonistes. Cet argument est le même que celui que donnent les grands médias lorsqu’ils produisent un reportage censé faire objectivement le tour d’une question. On n’est pas raciste à TF1 puisqu’on donne la parole à Harry Roselmack. On n’est pas non plus que du côté du patron quand on parle d’une grève et de ses effets désastreux pour l’entreprise. C’est la neutralité version grands médias.
Tout le monde, de TF1 à l’Agence Info Libre en passant par Libération, clame son objectivité tout en revendiquant une ligne éditoriale. Ce qui fait la ligne éditoriale, et en fait la ligne politique, ce sont les personnalités et les discours mis en avant dans le traitement de l’information. Ce sont les explications autour des sujets, données par « les experts » de chaque media, qui permettent d’en lire la ligne politique. En regardant les occurrences des sujets traités et les personnalités interviewées, on peut savoir sur quelle ligne se situe un média.
L’Agence Info Libre, à ses débuts, en 2012-13, se focalise sur la crise économique et le pouvoir des grandes banques, ainsi que sur l’Union Européenne. La personnalité politique de référence de l’Agence est alors Nigel Farage, classé très à droite de l’échiquier politique. Les analyses économiques des premiers pas de l’agence sont la reprise de discours de gens majoritairement à droite, souverainistes ou libéraux. Sur les 157 premiers sujets publiés par l’Agence, on ne retrouve que 2 sujets s’écartant un peu de cette ligne, en reprenant Arnaud Montebourg et Jean Ziegler.
Le prisme utilisé par l’agence pour décrypter l’économie est celui qui cible les multinationales et les groupes d’influence comme Bildeberg. C’est en fait une dénonciation classique de la finance apatride, marqueur de l’extrême droite, qui permet de détourner le regard du capitalisme national et, en France, des bons patrons français, puisque tout est contrôlé ailleurs. Dans ce monde de mythos, ce n’est pas ton patron français qui t’exploite, c’est la finance internationale.
L’Agence Info Libre reprend aussi les thèmes que Soral et Dieudonné mettent à la mode, avec les mêmes sources et le même discours. Les questions internationales sont focalisées sur la Palestine et l’impérialisme américain. Lorsque l’impérialisme français est évoqué, c’est pour sauver l’armée française et son bilan et accabler les politiciens. Pour ce qui est des relations internationales, on retrouve aussi un soutien indéfectible à Poutine – le site reprenant régulièrement les émissions de « Russia Today ».
L’Agence Info Libre connait ensuite une mutation à partir de 2014, quand ses animateurs principaux sont employés par Ruptly pour tourner des images.
Ruptly c’est « Russia Today » pour l’Europe. L’Agence Info Libre acquiert alors du matériel et un budget de fonctionnement et peut utiliser une partie des images pour faire ses reportages de terrain.
La partie « couverture de tous les sujets » se fait dorénavant majoritairement en faisant le boulot pour Ruptly et la partie « décryptage » se fait de manière « libre ».
Forte de son verni contestataire, qui se réduit à une critique de l’impérialisme américain et de son allié israélien, l’Agence Info Libre arrive à se faire passer pour un média « alternatif » et critique non aligné. Cette posture lui permet d’avoir une audience qui dépasse le simple cadre de la dissidence en carton. Elle lui permet également d’attirer certains pigistes de plus ou moins bonne foi. C’est ainsi qu’en profitant de la confusion ou de quiproquos, certains de ces « journalistes » ont pu interviewer Salah Hamouri dans un lieu antifasciste, alors que l’Agence Info Libre est clairement méprisante sinon hostile à cette ligne politique.
Le choix des protagonistes mis en avant indique aussi le camp dans lequel se trouve un media. TF1 filme toujours les émeutes du côté des CRS. A Calais, lors d’un sujet sur les migrants, l’Agence Info Libre exerce sa liberté et choisit son camp. Les médias russes au service de Poutine sont clairement sur une ligne raciste, il est donc normal que les employés de Ruptly servent un plat à la convenance de leur employeur en tournant les images d’une France blanche qui ne se laisse pas faire. Les images des migrants et de la manifestation des fascistes de « Sauvons Calais » tournées ce jour-là pour la télé raciste de Poutine permettront aussi à l’Agence d’utiliser sa liberté sur son site pour dénigrer au passage les antifas venus ce jour-là soutenir les actions menées avec les associations locales de soutien aux migrants.
Un regard sur les « experts » expliquant le monde sur l’Agence Info Libre suffit, lui aussi, à classer ce média « libre » à l’extrême droite. Tout comme TF1 et les grands médias font appel à BHL, Finkielkraut, Zemmour, Raufer et autres, l’Agence Info Libre possède ses référents idéologiques, qui lui permettent d’expliquer l’actualité qu’elle prétend rapporter de manière neutre.
Parmi la brochette d’experts ainsi mobilisés, on retrouve en tête Jean Bricmont. Ce dernier jouit d’une popularité parce qu’il est proche de Chomsky. Il défend la liberté d’expression, ce qui le fait aller à Radio Courtoisie. C’est l’expert sur le fil du rasoir qui permet de faire croire à qui veut bien qu’on peut tailler le bout de gras avec n’importe qui sans jamais être de connivence. Disons-le, c’est la figure « libertaire » que ce media utilise pour faire passer une ligne politique très à droite. Un peu comme les clowns-chroniqueurs de « gôche bobo » sur les medias mainstream (Pulvar, Guillon et Cie). Il joue le même rôle que les amuseurs prétendument de gauche chez Ruquier. C’est la caution utilisée par un employeur pour pouvoir afficher une pluralité.
Après, on rentre dans du lourd côté experts de droite et d’extrême droite. Il y a évidemment beaucoup de Soral, avec ses démêlés judiciaires, et aussi constamment du Dieudonné. Mais c’est toujours un média neutre… On a du Chauprade, et le commentaire de la ligne Chauprade par un expert de la pensée politique : Serge Ayoub. On compte aussi des experts historiques de « qualité » comme Vincent Reynouard et Robert Faurisson. On a des interviews de militants de Riposte Laïque comme Philippe Landeux. On a des entrepreneurs de la dissidence en carton comme Jo le Corbeau, Adrien Abauzit, Emmanuel Ratier, Mathias Cardet, Kemi Seba, Camel Bechick, Farida Belghoul et Bruno Boulefkhad. Aussi neutre que la Suisse accueillant les lingots du Reich…
Quand ça fait intervenir des étrangers, on trouve majoritairement des fascistes comme Gabriele Adinolfi, avec un sujet bienveillant sur Casapound (ceux qui assassinent des africains et font dans le grand banditisme).
Les personnalités politiques interviewées directement vont de l’UPR au Front National en passant par tous les groupuscules d’extrême droite. Le reportage au congrès européen du GUD mené par Logan Djian montre à quel point l’Agence Info Libre est perçue comme un partenaire par cette mouvance qui ne laisse d’ordinaire aucun journaliste filmer quoi que ce soit. La confiance témoignée par le GUD à l’égard de l’Agence Info Libre est, de fait, un marqueur de l’appartenance de cet organe de presse à la mouvance des droites radicales.
Niveau manifestations, « Jour de Colère » et les « manifs pour tous » ont été bien relayés et de nombreux articles ont porté leurs thèmes de manière positive.
Et en face, ça donne quoi ? Puisque l’Agence Info Libre prétend être neutre et pluraliste, ne devrait-elle pas donner un temps de parole équivalent aux fascistes et à ceux qui les combattent ? En réalité, la partialité de cette agence est criante. Pour la gauche radicale – et, attention, une gauche radicale vraiment radicale – on a : un sujet sur Besancenot filmé lors d’une manifestation de soutien aux forces Kurdes, où l’agence résume la position de Besancenot à une opposition à peine caricaturale à Bachar el-Assad et à Erdogan. Pour Mélenchon, ce sont des images tournées à Sivens, plus la reprise de son discours d’août 2014 dans lequel il tient un discours « PCF classique » sur les questions internationales et la Palestine, et un article sur le fait qu’il aurait été « conseillé » par Patrick Buisson.
On trouve aussi une occurrence récente pour l’économiste Lordon ou pour Filoche.
Côté gauche, mis à part des images de terrain, il n’y a donc pas grand-chose. Le monde de l’Agence Info Libre est ultra majoritairement décrit et expliqué par des idéologues qui sont tous de droite radicale et souverainistes. C’est sous cet éclairage que le travail partisan de l’agence se révèle le plus. Ce media utilise les actions de résistance sur le terrain de la gauche radicale pour permettre à la droite radicale de nous livrer ses explications du monde. Grâce à l’Agence Info Libre, la droite et l’extrême droite, absentes des luttes sociales et des résistances de terrain, peuvent néanmoins les récupérer politiquement.
Que dire des sujets de préoccupation des classes populaires vus par l’Agence Info Libre ? Les mots clés : islamophobie (4 occurrences) et violences policières (4 occurrences, toutes basées sur des reportages faits sur l’extrême gauche). Le thème du racisme est abordé quasiment uniquement au travers du prisme juif. Il n’y aurait donc en France que du racisme généré par le favoritisme fait aux juifs ?
Un des arguments avancés par l’Agence Info Libre pour revendiquer sa « neutralité » politique est qu’elle traite parfois de sujets sociaux au travers de reportages sur une lutte ou d’interviews de personnalités de gauche. En réalité, cela lui arrive, mais ce n’est pas majoritaire, ni fréquent. Le slogan publicitaire construit autour de l’idée de neutralité vole en éclat dès qu’on regarde le contenu de ce que cette agence propose.
En fait, avec l’Agence Info Libre, on se retrouve face à un journal pro russe, obsédé par tout ce qui touche aux juifs, avec une vision doctrinaire influencée par les droites radicales et qui se sert des actions de la gauche sur le terrain – le tout avec du travail en perruque financé par les médias de Poutine. Une agence « libre », donc, qui a librement choisi son camp.
Militer, c’est assumer. Animer un média, c’est aussi assumer sa ligne éditoriale. Ce n’est évidemment pas le cas des freedoms fighters de l’Agence Info Libre, qui font les pleureuses quand ils reçoivent l’addition de leurs engagements, comme quand, par exemple, des collectifs BDS de Paris, Toulouse ou Marseille refusent de bosser avec eux parce qu’ils servent de courroie de transmission à l’extrême droite.
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