Livre du samedi : Le communisme désarmé / Julian Mischi

17 Oct

communisme desarmé

Le communisme désarmé : le PCF et les classes populaires depuis les années 1970 / Julian Mischi

 

Présentation de l’éditeur:

Le communisme a autant été désarmé par ses adversaires socialistes et de droite, dans un contexte d’offensive néolibérale, qu’il s’est désarmé lui-même en abandonnant l’ambition de représenter prioritairement les classes populaires.

Analyse du déclin d’un parti qui avait produit une élite politique ouvrière, ce livre propose une réflexion sur la construction d’un outil de lutte collectif contre l’exclusion politique des classes populaires. Cette revisite de l’histoire récente du PCF relève d’un enjeu majeur pour une gauche de plus en plus coupée des groupes populaires.

S’appuyant sur une enquête de terrain et des archives internes, l’auteur montre comment, au-delà des transformations des milieux ouvriers, les classes populaires sont marginalisées au sein du PCF. En traquant toute divergence interne et en changeant continuellement de ligne, l’appareil central provoque des départs massifs de militants. Prêter attention à ce qui se passe à « la base » rend compte des transformations des manières de militer dans un contexte de fragilisation du mouvement ouvrier.

Au sommaire :

— 1. Recomposition des classes populaires & reflux communiste
— 2. La désouvriérisation du PCF
— 3. Les logiques politiques du désengagement communiste
— 4. Luttes fratricides
— 5. Vers un parti d’élus
— 5. Militer dans un parti en crise

 

 

Extrait :

« De la lutte des classes à la « diversité »

En s’éloignant des milieux populaires, le PCF est de moins en moins alimenté par des adhérents issus de l’immigration. Logiquement, la prise en compte de la question des immigrés au sein du PCF est alors davantage abstraite. Si la solidarité internationaliste reste au cœur de l’identité communiste, le rapport aux travailleurs se vit sur un mode plus rhétorique que réel. En entretien, Elise Grappe, qui fut députée communiste de l’Isère de 1951 à 1958, regrette ainsi cette perte d’emprise des militants sur la réalité locale du monde populaire : « Les jeunes étudiants communistes, ils me donnent du courage. Mais au lieu d’aller en Palestine ou à Cuba, ils devraient aller voir les jeunes Algériens de mon quartier qui vont à la mosquée et qui sont loin d’être au PCF ». Cet investissement dans la religion ne cependant être déconnecté de logiques structurelles sur lesquelles les militants n’ont guère de prise, tout particulièrement l’évolution politique  des pays d’origine qui étaient non-alignés et anti-impérialistes dans les années 1960, au encore l’attitude des pouvoirs publics qui encouragent les représentations des immigrés en terme religieux. Mais le PCF y contribue également de façon indirecte en fermant la porte de la promotion militante aux nouvelles générations populaires. Les nouvelles fractions des classes populaires issues des migrations plus récentes sont présentes dans les réseaux militants et électifs du PCF, sûrement plus que dans les autres formations politiques, mais ils  sont peu impliqués à des postes dirigeants dans les municipalités communistes. Le pouvoir pris par des militants provenant des strates qualifiées du salariat ne favorise pas le renouvellement et l’ouverture aux nouvelles populations, notamment aux catégories populaires moins stabilisées et aux enfants d’Algériens ou de Marocains. Militants et élus sont de plus en plus issus de familles communiste, entraînant un enfermement des municipalités sur un entre-soi militant avec des dynasties familiales qui se succèdent à la tête des sections et des mairies.

Lorsque des militants issus des quartiers populaires sont valorisés en interne, c’est sous le prisme de la « diversité » et non de la promotion des classes populaires. Des « militants de  la diversité » sont sélectionnés et perçus comme des représentants de communautés » qu’ils sont chargés de mobiliser pour les élections. Ils intègrent le parti comme des « têtes de pont » de réseaux de type communautaire et se heurtent rapidement à un plafond de verre : ils sont réduits à ce rôle d’agents mobilisateur de « minorités » et n’accèdent pas aux positions de pouvoir dans les mairies ou à la direction du PCF. Pourtant, et c’est ce que montre l’enquête d’Olivier Masclet à Gennevilliers, des forces militantes émergent  au sein des cités dans les années 1980 et 1990. Mais ces « militants de cité » sont cantonnés à un rôle subalterne d’animation des loisirs pour adolescents et ils sont relégués hors de la scène du pouvoir municipal. Les membres de l’élite municipale ont pour la plupart quitté les cités HLM. Les élus ne fréquentent plus au quotidien leur population et tendent à se méfier de ces jeunes des classes populaires. Les diplômes et la stabilité salariale qui distinguent les élus communistes les mettent à distance de ces jeunes qui connaissent la précarité et sont parfois suspectés de vouloir faire de la politique uniquement pour s’en sortir personnellement. Ne trouvant pas de débuchés politiques et municipaux, le militantisme de cité s’épuise ou se retourne même contre les mairies communistes lorsqu’il ne prend pas des voies religieuses. Mais les nouvelles classes populaires des banlieues urbaines se caractérisent surtout par leur abstention et leur non-inscription sur les listes électorales. Du point de vue des jeunes des quartiers populaires, les municipalités sont peu identifiées comme « communistes ». Elles sont vues comme l’échelon du système étatique qui les marginalise. La mairie PCF fait partie des « autres », elle n’est plus perçues comme un contre-pouvoir, d’autant plus qu’elle peut, comme à Ivry-sur-Seine par exemple, devenir le premier employeur  et le premier logeur de la ville. Le PCF a raté en quelque sorte la jonction avec le nouveau prolétariat issu de l’immigration.

Cette marginalisation politique des nouvelles catégories populaires au sein meme des municipalité communistes n’est aps propre à la banlieue parisisenne. Elle se reflète dans le resserement du PCF sur des élus de moins en moins issus des mondes populaires. »

 

 

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