Archive | novembre, 2019

Barbès Blues au temps du couvre-feu (122) / Farid Taalba

26 Nov

Barbès Blues au temps du couvre-feu / épisode précédent

 

Et, vers l’est, quand la première ampoule de l’aube poignit entre mer et montagne qui émergeaient de leur sommeil sous le voile d’une clarté opalescente, alors que ses trois amis somnolaient chacun plaqué contre sa portière, seul Bou Taxi se tenait complètement éveillé, les mains sur le volant, luttant contre le sommeil qui le faisait piquer du nez par intermittence. Trop aux aguets pour pouvoir dormir dans le charivari des allers et retours des véhicules militaires, et entre les salves des exécutions sommaires, il avait fait la vigie toute la nuit pour voir venir l’inattendu, s’il dût advenir. « On y est, se murmura-t-il en regardant les premières étoiles disparaître, on approche du moment de vérité. ». Et il fut pris de l’envie de réveiller ses compagnons mais il y renonça : « Pourquoi faire ? A quoi ça servirait ? Pour qu’ils matent la beauté du ciel et se remettent à gamberger ! Vaut mieux qu’ils dorment. ». Et il regarda devant lui, pensif, suspendu à un air de Si Lbachir Amellal qui lui traversa l’esprit : Lire la suite

Barbès Blues au temps du couvre-feu (121) / Farid Taalba

6 Nov

Barbès Blues au temps du couvre-feu / épisode précédent

 

– Si après dieu, on s’aura ce qui est arrivé à nos quatre amis, gouailla Francis avant d’ajouter pince-sans-rire, dis-moi plutôt ce qui est arrivé à ceux-là ?!

Des GMC étaient en train de les doubler dans un halo de lumière jaune. La vitrine aussi blême qu’un marbre de cimetière, la main sur le goinfre et les ardents grands ouverts, Bou Taxi n’osa y croire. Dénouant sa cravate, il reprit son souffle et finit par admettre la réalité de ce qu’il voyait dans un murmure qui tremblota : « Au nom d’Allah, le tout miséricordieux, le très miséricordieux… ». Des cadavres jonchaient les bennes des véhicules en formant des petits tas qu’on n’avait pas pris la peine de recouvrir d’une couverture ou d’un drap. « Tu sens l’odeur ? » demanda Francis. « Oui, allongea Bou Taxi, m’est avis que chaque cadavre a un pot de chambre dans l’estomac. Vu comment ça fouette déjà, il faut bien qu’ils s’en débarrassent. Mais je me demande bien où est-ce qu’ils vont aller tirer la chasse d’eau ? ».

Et, une fois tous les GMC passés, les deux amis purent alors constater qu’ils filaient droit sur le stade, ils roulaient sur une partie de la route qui ne pouvait qu’y mener. Dans leur sillage, ils soulevaient des nuages où se confondaient la lumière et la poussière dans de phosphorescents halos cahotant au rythme des caprices de la piste. Au loin, dans la nuit étoilée, au-dessus du convoi funèbre, ils pouvaient écarquiller leurs carreaux sur la silhouette de la tribune du stade ; elle était passée intermittemment en revue par les spots des projecteurs qui poursuivaient en rythme régulier leur chemin de ronde circulaire.

« Tu crois que nos quatre amis se trouvent dans le lot du convoi ? » osa Francis. Lire la suite