
Barbès Blues au temps du couvre-feu / épisode précédent
– Ah que dieu soit loué, s’exalta Si Lbachir, voilà vos musiciens en selle pour Sidi-Aïch ! Cela fait un obstacle en moins qui devrait vous lâcher un peu la bride.
– Mais, contrecarra le maître, il reste les autres.
– Comment ? Qui ça les autres ?
– Tout simplement mon tiercé gagnant : deux chanteuses-danseuses et un percussionniste hors pair. Ils devaient embarquer avec moi à Marseille. Malheureusement, à Paris, ils ont eu un contretemps et ils n’ont finalement pas pu me rejoindre à temps. Normalement, vu qu’on a des prestations prévues dans les environs de Philippeville, et vu leur amour du travail bien fait que je leur connais, ils devraient y débouler pour tenir leur poste.
– Vous connaissez leur date d’arrivée ?
– Dieu seul le sait… mais j’en serai averti.
– Mais que diable leur est-il arrivé ? Vous n’étiez pas avec eux ?
– Non, je n’étais pas avec eux. Je n’avais pas envie de stationner à Paris, je voulais voir la mer et manger des sardines sous une treille ; eux, comme ils avaient quartier libre, ils ont préféré passer l’Aïd el Kebir chez leurs amis qui habitent à Barbès. Et ce jour-là, il y a eu une émeute dans leur quartier.
– Et pourquoi ?
– Toujours le même cinéma ! Des policiers ont interpellé un homme en plein marché et l’ont fait monter dans le panier à salade pour l’emmener au bal. Etant donné qu’ils n’y ont pas été de main morte, et que le prévenu clamait à tout rompre son innocence, les gens ont alors réagi, ils se sont attroupés autour du car. Au moment de faire une marche arrière, le chauffeur du car aurait reçu sur la tête une pastèque lancée de la foule ; il aurait ainsi perdu le contrôle de son véhicule et écrasé un marchand de quatre-saisons. Grièvement blessé, ce dernier hurlait de désespoir plus que de douleur, effrayé à l’idée que l’heure d’avaler son acte de naissance était advenue. Un mejdoub du nom de Bou Khobrine lui récitait même des vers du chant de l’histoire de Moïse :
L’ange de la mort revint Pour lui percer le ventre
Lequel lui cria : « Eloigne-toi de moi, Par moi tu ne commenceras pas. Lire la suite →