Black Mirror 10 : Train To Skaville

17 Août

skaville

« Train To Skaville »

On sait combien la naissance du rap est tributaire de ce qui s’est imaginé vingt ans plus tôt dans les sound-systems jamaïcains. La correspondance ne s’arrête pas là, tant la musique jamaïcaine est indissociable du passé esclavagiste et du présent ghettoïsé de l’île, et s’est créée dans un dialogue permanent avec les USA toutes proches.

L’abolition de l’esclavage en Jamaïque est déclarée en 1838. Comme aux Etats-Unis quelques décennies plus tard, elle va très vite déboucher sur un exode rural massif. La crise de 1929, puis le terrible ouragan de 1930, qui ravage les plantations, vont encore accentuer le phénomène. L’exploitation des ressources minières, la bauxite notamment, va finir de détruire l’économie agricole. Dans les villes principales, Kingston en tête, se forment des bidonvilles à perte de vue. On n’y trouve que chômage, misère, racisme. Beaucoup, pour fuir la catastrophe économique et sociale, vont émigrer aux USA, soit définitivement, soit pour survivre de travaux saisonniers, dans les champs de coton… L’influence américaine, économique et culturelle, n’ira qu’en grandissant. La musique des frères Noirs de là-bas s’importe : d’abord le jazz, puis le Rhythm and Blues. Les sound-systems qui naissent après la seconde guerre diffusent essentiellement des productions américaines. Les musiques « autochtones » quant à elles, comme le mento et le calypso, se jouent essentiellement dans les hôtels de luxe du Nord, la Jamaïque étant devenue une destination de choix pour la bourgeoisie blanche des States, qui se délecte de la légèreté si pittoresque de la musique des îles.

Vers la fin des années 1950, les propriétaires des sound-systems les plus renommés vont monter leurs propres studios pour ne plus avoir à importer les disques et produire sur place une copie quasi conforme du R’n’B américain. C’est dans ces studios que les musiciens insulaires vont imaginer peu à peu, en mélangeant le jazz et le mento, une version hybride qu’on appellera le « shuffle jamaïcain ». En approfondissant encore le style, ils vont finir par donner naissance à la première musique authentiquement jamaïcaine, le ska, reconnaissable entre mille par ce battement si spécifique, cette accentuation sur le temps faible, cette pulsation qu’on retrouvera dans toutes les musiques qui suivent : le « skank ». Ce jazz jamaïcain, musique de fête populaire et entraînante, va accompagner la fierté et l’espoir qu’offre l’indépendance de l’île en 1962. L’allégresse sera de courte durée, comme on le verra dans les épisodes suivants.

Fierté du ghetto, musique de descendants d’esclaves, début d’une révolution musicale. Ça nous rappelle quelque chose, non ?

 

Émission : https://tilidom.com/start_download?token=B1FCF0A1D

Quelques images précieuses de la chouette série documentaire Deep Roots Music :

 

Black Mirror, émission hiphop

En partant du sample, élément de base du hip hop, Black Mirror essaye de remonter le cours de l’histoire, de retourner aux racines d’une musique qui a commencé par regarder vers son passé pour aller de l’avant. Et cette histoire est avant tout une histoire sociale, celle du peuple Noir aux USA, déporté d’Afrique, réduit à l’esclavage pendant des siècles, puis soumis à la ségrégation, aux lois Jim Crow, au lynchage. De la plantation au ghetto, de l’esclavage légal à l’esclavage salarié. C’est aussi l’histoire d’un soulèvement, des révoltes d’esclaves aux émeutes de Watts, des églises noires au Black Panther Party, du blues aux block-parties.

Chaque semaine, un épisode thématique de deux heures : les work songs, les spirituals, Stagger Lee, Watts 1965, Los Angeles 1992, le rap indépendant, les femcees, Lino… On y écoute beaucoup de musique, on y apprend deux ou trois trucs, on y partage l’amour de cette culture. Black Mirror, c’est aussi un blog avec plein d’infos, des vidéos, et où on retrouve toutes les émissions en podcast ainsi que les playlists téléchargeables : www.blackmir.blogspot.com

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