Barbès Blues au temps du couvre-feu (épisode précédent)
Sous une nuit étoilée, accoudé sur le pont du bateau illuminé de lampions reliant Marseille à Alger, Madjid regardait au loin, la main au menton, pensif, insensible à l’agitation des voyageurs qui régnait autour de lui.
Les vagues remuaient le ciel où elles se mêlaient dans le ressac qui déformait la lune toute clinquante, noyée dans la myriade d’étoiles détachées de leur voute et flottant en essaims aux halos troublés. Les derniers éclats des lumières de France avaient disparu depuis longtemps derrière la ligne d’horizon, ligne qu’il n’apercevait elle-même déjà plus dans l’obscurité. Dans le sillage du bateau qui s’éloignait, il remontait le cours de ce qu’il venait de vivre avant de se tourner vers celui qui le portait dorénavant vers son destin. Pour le moment, tant qu’il pouvait contempler le passé, il évitait de penser à demain. Mais une voix interrompit ses pérégrinations :
Me voici à Alger
J’ai bu un verre de café
Que d’oranges j’ai mangées
Poussant dans les ronceraies
Aussi douces les unes que les autres
Ton baiser, mon amour,
Doux, il apaisera mon cœur
Sur un pont inférieur battu par la pluie fine des vagues qui venaient éclater en moussant contre la coque, portant une caisse de bois sur l’épaule, un marin entonnait Si Lbachir Amellah à la lumière mouvante des lampions soulevés par le vent. Madjid se laissa volontiers mener par le bout de l’oreille jusqu’au moment où la mélodie emprunta un couloir au bout duquel son silence se Lire la suite