Archive | septembre, 2019

Barbès Blues au temps du couvre-feu (118) / Farid Taalba

25 Sep

Barbès Blues au temps du couvre-feu / épisode précédent

 

Francis s’apprêta ainsi à prendre congé de ses amis quand Bou Taxi se leva séance tenante : « Monsieur Francis, je viens avec vous… ne faites pas cette tête-là, n’allez pas me faire la morale, ni vous autres… je ne suis pas fou… il y va de l’honneur de mon taxi… s’il y a un barrage, monsieur Francis, vous pourrez toujours dire que je suis votre manœuvre à tout faire, votre « bon’z’ami »… du grenier au garage… du garage à la voiture ! Vous direz que je suis votre chauffeur. Les militaires et monsieur le maire n’y verront que du feu, vous pourrez même me maltraiter devant eux pour que cela fasse plus vrai que nature ! Une chose est sûre, si vous ne voulez pas, j’irai alors de mon côté ! Mais il ne sera pas dit que Bou Taxi aura abandonné ses passagers en plein danger. ».

Les uns et les autres étaient restés estomaqués avec un bœuf sur la langue et personne n’osa la démuseler devant tout le zèle dont venait de faire preuve Bou Taxi qu’ils connaissaient d’ordinaire plus froussard ; seul le maître, à qui tous ses interlocuteurs s’en étaient remis par leur silence, récita d’une voix aussi claire que calme une formule lapidaire : « Oh croyants, remplissez fidèlement vos engagements ! ». Francis se renfrogna, hésitant : « Remplissez, remplissez, il ne suffit pas de le dire ! ». Puis il cueillit tous les regards qui avaient lancé sur lui tous leurs bouquets pour qu’il se mette au parfum de Bou Taxi. Devant toute leur insistance, il finit par mettre ses réticences en terre : « Bon, ok, tu viens ! Mais tu ne pourras pas dire que je ne t’avais par prévenu. – Pas de problème, mon z’ami ! Il n’y a pas de mots pour dire combien vous êtes… je ne sais comment dire ! – Te moque pas de moi… moi, tout ce que je sais, c’est qu’on prend une route que tous les mots du monde ne peuvent pas décrire à l’avance… Bon, c’est bien joli toute cette philosophie mais, yallah, vaut mieux pas stationner plus longtemps dans l’introduction ! – Vous pouvez le dire, monsieur Francis, rajouta respectueusement Bou Taxi, il n’y a pas de mot pour ça. Lire la suite

Barbès Blues au temps du couvre-feu (117) / Farid Taalba

11 Sep

Barbès Blues au temps du couvre-feu / épisode précédent

 

En débâclant la banne dont il croqua la poignée de sa tremblante main crochue, Si Omar encadra direct les couleurs délavées du portrait décomposé de Bou Taxi. Ses yeux placardaient le flou impressionniste le plus artistique ; mouillés et vitreux, ils faisaient leur nuit étoilée sur Rhône sous la lueur agitée de la bougie que Si Omar tenait d’une autre main tout aussi trémulante. Il se noya presque un instant dans le tableau qui se déversait à lui avant de rester suspendu à la bouche de Bou Taxi, une bouche ouverte, immobile et silencieuse que les mouches accourues à sa suite eurent pu y prendre palais à demeure pour une partie de campagne en pleine flore buccale.

Mais, vu que Bou Taxi n’en sortait pas une, le vieil homme finit par mesurer le modèle des pieds à la tête et lui croquer le morceau comme celui qui craignait l’orage qu’il croyait voir s’annoncer : « Oh, que t’arrive-t-il ? Pourquoi tu ne dis rien ? Et les autres, ils ne sont pas avec toi ?!… ».

A cette dernière question, Bou Taxi blêmit comme un bleu de Chine passé à l’eau de Javel et Si Omar se rendit compte qu’il avait dangereusement haussé le ton ; puis, baissant trompette, avec quand même un peu d’exaspération dans la voix devant son interlocuteur sans réaction, Si Omar se mit au diapason de messe basse : « Mais rentre d’abord, ne reste pas sur le palier ! Aller, bouge-toi la carrosserie, ce n’est pas le moment de stationner ou de tomber en panne ! Tu veux qu’on se fasse entoiler ou quoi ?! ». Lire la suite