Leçon 1:
L’Irak est de retour sur le front médiatique avec toujours si peu de nuances. Gros mots et concepts flous sont à l’ordre du jour. Les médias dominants se focalisent sur les djihadistes, masquant les autres forces militaires et politiques. Aucun retour sur l’évolution politique de l’Irak, l’amnésie permanente comme norme. Tout se résume à l’EIIL, l’Etat Islamique en Irak et au Levant . L’insurrection, qui vient de frapper un grand coup contre le pouvoir du premier ministre Nouri al Maliki (chiite), n’est pas uniquement l’œuvre des combattants de L’EILL. Mais le fruit d’une coalition de différents groupes dont la nature et les objectifs politiques sont différents. Unis dans la lutte contre le pouvoir chiite à Bagdad : tribus sunnites, confréries Soufies, anciens des services, de l’armée de Saddam Hussein et nationalistes dont les liens se font et se défont au grès des rapports de force politiques et militaires.
Leçon 2:
Petit retour sur les apprentis sorciers étasuniens et leur initiative pour le Grand Moyen-Orient . L’invasion et l’occupation de l’Irak étaient censées pacifier la région, sécuriser Israël, les champs pétroliers et isoler l’Iran. Résultat: fiasco total.
L’Irak est dans un état de guerre civile permanent. Le Moyen-Orient qui devait être pacifié pour devenir une zone de libre échange économique est aujourd’hui un champ de bataille généralisée dans lequel des groupes armés (AQPA eu Yémen, EILL en Syrie et Irak, Jabat al Nosra en Syrie….) sont particulièrement actifs.
Dans ces conditions, l’Iran est devenu incontournable. Il est un garant de stabilité sur les scènes irakienne et syrienne. Les ingénieurs sociaux étasuniens ont détruit l’état irakien, fracturé religieusement et territorialement la population irakienne (Kurdes, sunnites, chiites) et ont obtenu le contraire de ce qu’ils espéraient. Sans parler de la quasi-disparition des communautés chrétiennes d’Irak. La Stratégie du Choc et le néolibéralisme ont pour conséquence guerre et chaos. Le « Grand Moyen-Orient » est devenu un centre d’entraînement à ciel ouvert pour une multitude de groupes armés.
Le concept fumeux de Nouvel Ordre Mondial est un échec : il n’aboutit qu’à des ratages politiques et militaires (Irak et Afghanistan).
Leçon 3:
L’Irak incarne à l’extrême la ligne de fracture entre sunnites et chiites, une confrontation politique et militaire pour asseoir une hégémonie dans la région. Cette nouvelle ligne de front traverse déjà d’autres pays: Liban, Syrie, Irak, Bahreïn. Elle s’accentue avec la compétition et la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour le leadership régional politique et religieux.
La guerre civile en Syrie où la ligne religieuse est devenue hégémonique en est l’illustration la plus meurtrière. On constate la perte de considération du Hezbollah auprès des sunnites qui y voyaient la résistance anti-israélienne et, maintenant un auxiliaire du chiisme conquérant. En l’espace de quelques années l’identité religieuse, sunnisme/chiisme, est devenu une ligne de front en perpétuelle expansion.
Leçon 4:
La situation irakienne et ses répercussions sur la région confirment bien qu’au-delà des discours idéologiques et des postures de principe, c’est bien l’intérêt des états (économique, militaire, politique…) qui prime sur toute autre considération. Le « réalisme politique », c’est à dire la conservation des intérêts de l’Etat et des élites du pays, justifie des changements de stratégies au passage des frontières, les USA soutenant la rébellion anti-Bachar en Syrie, le même Bachar el Assad étant allié à l’Iran. Au même moment, en Irak, les USA et l’Iran sont tous deux les alliés du pouvoir chiite à Bagdad. Ennemis sur la question palestinienne et opposés en Syrie, ils deviennent alliés objectifs en Irak.
N’en déplaise au amateurs de théories du complot, les états comme les USA et l’Iran ne sont guidés que par la défense de leurs intérêts propres. L’Irak permet un rapprochement entre le « grand Satan américain » et le « régime des mollahs » iraniens, ce qui pose problème à Israël.
Autre paramètre, non négligeable, qui justifie ce rapprochement: l’Iran – puissance régionale – est un grand marché économique en raison de sa démographie et ses richesses. C’est un débouché potentiel que rêvent de conquérir les multinationales américaines et occidentales, Français compris. Ce rapprochement ne se fait pas sans opposition au sein de chaque pays. Mais il illustre à travers les choix des États, la prédominance des intérêts économiques avant tout autres considérations idéologiques.
Leçon 5:
L’autre leçon irakienne est la confirmation de l’incapacité d’un camp dit progressiste à peser sur ce type de conflit et plus globalement sur la scène internationale. À l’opposé du XXe siècle où le camp anti-colonial et anti-impérialiste avait un réel poids politique et même, dans certains cas, militaire grâce au soutien d’états ou d’organisations structurées.
La seule apparition d’acteurs politiques des gauches se résume à des analyses sans fin sur le net ou dans les médias : le ton est d’autant plus virulent qu’il sert à masquer une totale impuissance. L’implication dans les conflits cède la place à un soutien à une puissance impérialiste, comme la Russie, et se justifie par une conception du monde datant de la guerre froide.
Il n’y a eu aucun appel sérieux à organiser des réseaux de logistique, de financement et militaire.
L’internationalisme se résume trop souvent à un tourisme politique au Chiapas, en Grèce ou en Palestine. Les conflits irakien, syrien, ukrainien et tant d’autres sont les révélateurs d’une gauche internationaliste ou anti-impérialiste incapable de peser et d’exister politiquement et militairement.
Seule conclusion possible, le nécessaire retour à l’un des fondamentaux : le soutien actif et concret aux peuples en luttes.
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