Les « FOLLES de la place Vendôme » contre les crimes racistes ou sécuritaires

29 Oct

Un document vidéo de 10 min – 1985 – Réal/Prod. : agence IM’média

Avec Mmes HACHICHI, MELYON et AUBOURG et Naguib Allam, initiateur de l’Association nationale des familles victimes de crimes racistes ou sécuritaires.

 

 

Le 28 octobre 1982, Wahid Hachichi, lycéen de Vaulx-en-Velin, 18 ans, est tué à coups de fusil à Lyon. Le 6 novembre, Abdennbi Guemiah, lycéen habitant la cité de transit Gutenberg à Nanterre, décède suite à un tir de 22 long riffle par un pavillonnaire voisin. Les familles et amis de Wahid et Abdennbi se mobilisent à la mémoire des disparus, pour exiger justice. Elles se rencontrent et décident de faire cause commune. Le contexte de l’époque est alors à la surenchère sécuritaire, sur fond de campagne électorale pour les municipales de mars 1983. Tandis qu’une droite revancharde s’acoquine avec l’extrême-droite, des syndicats de policiers défient le pouvoir socialiste. Pourtant, le ministre de l’intérieur Gaston Defferre a promis qu’il « couvrirait » tous ceux qui travaillent sous ses ordres. Et Charles Hernu, ministre de la défense, « pacifie » les cités de sa commune, Villeurbanne, dans l’est lyonnais.

Naguib Allam, l’oncle de Wahid, mène une contre-enquête sur les faits contestant la version officielle d’une tentative de vol de BMW. Il fonde Wahid association. Il s’intéresse aussi aux mobilisations ailleurs en France. « Nous ne voulons plus avoir peur pour nos enfants et pour nos maris, nous ne voulons plus avoir la crainte de sortir. Assez de contrôles racistes, assez de lois racistes, assez d’impunité pour les racistes. Femmes, mères de tous les pays, unissons-nous! » Fortement marqué par cet appel des mères à Marseille au lendemain de Lahouari Ben Mohamed, tué au pistolet-mitrailleur par un CRS le 18 octobre 1980, il s’en inspire au printemps 1983 pour lancer l’Association nationale des familles victimes de crimes racistes.

Son moyen d’action est l’empowerment des familles: aucune organisation politique, syndicale ou associative, aucun avocat ne doit s’imposer ni agir en leur nom sans un accord direct préalable et explicite, cela afin que les différentes affaires ne soient instrumentalisées à d’autres fins.

Le programme de l’association se précise au fur et à mesure de Forums justice et de réunions publiques organisés dans plusieurs villes (Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Nanterre, Marseille…). Il réclame notamment le respect de la mémoire des victimes, un soutien moral et financier des familles, la reconnaissance officielle de leurs associations autonomes comme des structures d’aide aux victimes, l’instauration d’une commission d’enquête indépendante sur la police et la justice, le plein accès aux dossiers judiciaires pour les familles constituées partie civile. L’association formule aussi sa volonté d’une extension de la loi du 1er juillet 1972 aux violences à caractère raciste, la possibilité de se constituer partie civile. Et de toute urgence, elle entend « désarmer les beaufs », « désarmer les flics ».

Le 21 mars 1984, une douzaine de familles accompagnée par environ 200 personnes entament leur première ronde place Vendôme dans l’espoir d’être entendu par le garde des Sceaux Robert Badinter. Dans la foulée, une quarantaine de familles rejoignent l’association. S’y côtoient désormais Arabes, Noirs antillais ou africains, Espagnols ou Portugais, Turcs, Gitans et Français blancs.

Parmi ces « folles » (en référence aux mères de la place de Mai qui ont attiré l’attention de l’opinion publique internationale sur le sort des disparus victimes de la dictature en Argentine), on rencontre Mme Melyon, la mère de Lucien originaire de Guadeloupe, tué par des « videurs » lors d’un concert le 30 octobre 1977 à l’hippodrome de Pantin, ou encore Colette Aubourg, la mère de François-Michel, 21 ans, mort suite à des violences au bal des pompiers à Vitry-sur-Seine le 14 juillet 1983.

La dimension sécuritaire de nombreux cas est mise en évidence, le nom de l’association est donc complété : en associant dimensions racistes et sécuritaires, sans les confondre, elle entend se prémunir contre le risque de hiérarchisation des crimes. Il n’y a pas de tri entre « bonnes » et « mauvaises » victimes. Il ne s’agit pas de noyer la singularité de chaque affaire dans un discours générique global et abstrait, mais de faire ressortir ce qui fait sens commun.

Suite aux multiples mobilisations et au succès de la Marche pour l’égalité et contre le racisme à son arrivée le 3 décembre 1983, il y aura quelques avancées : fin de l’exposition de 22 long riffle dans les supermarchés, interdiction de la vente d’armes à plus de dix coups, modification de la loi contre le racisme, possibilité pour les associations de plus de 5 ans de se constituer partie civile… A Nanterre, la justice traitera avec dignité Abdennbi Guemiah, sa famille et ses amis, elle rendra même explicitement hommage à l’action publique des mères. Ailleurs cependant, il n’en ira pas de même. La mémoire de victimes sera bafouée, des familles maltraitées. L’assassin de Wahid Hachichi, jugé en février 1986, n’écopera que de 5 ans de prison dont 2 avec sursis. Prévaut alors le sentiment d’une inégalité de traitement, d’une « justice à deux vitesses », et celui de la nécessité d’un combat sans cesse renouvelé. Plus que jamais, le message des « Folles de la place Vendôme » reste d’actualité.

Contact : agence.immedia@free.fr

3 Réponses to “Les « FOLLES de la place Vendôme » contre les crimes racistes ou sécuritaires”

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