L’attentat du Bardo : après l’horreur vient l’instrumentalisation

20 Mar

L’attaque du Bardo en Tunisie est une nouvelle épreuve pour la révolution tunisienne.
Les criminels appartiennent cette fois encore au courant salafiste tunisien. Nous les réduisons par mépris au qualificatif de Tak-tak, par référence au takfirisme. Mais ce qualificatif – que l’on assume – occulte un fait observable et connu de tous : la colonne vertébrale de ce courant de l’islam politique c’est le wahhabisme. Il est important de comprendre la matrice idéologique de ces assassins si on veut un jour pouvoir les neutraliser autrement que militairement.

attentat_Bardo
Ces assassins trouvent leur source d’inspiration religieuse dans les écrits de Mohamed Ben Abd-El-Wahab. Ce courant de l’Islam s’est propagé partout dans le monde grâce à son alliance avec la dynastie des Saoud en Arabie Saoudite (ces mêmes Saoud qui doivent leur trône à leur allégeance à l’impérialisme britannique puis américain).
Nul complot à mettre à jour pour se rendre compte de cette réalité, il suffit de regarder les œuvres religieuses sur lesquelles s’appuient ces acteurs de l’islam politique et de relever les actes des puissances occidentales qui ont aidé le courant wahabite à faire ses premiers faits d’armes.
Chacun sait par exemple que les services occidentaux américains les ont soutenus en Afghanistan dans la guerre contre le communisme.
Côté idéologie, on retrouve toujours les références aux œuvres théologiques de Mohamed Ben Abd-El-Wahab ou de savants, de cheiks, de muftis de son école ou de leurs précurseurs tels Ibn Taymiyya.
Cette pensée de l’islam formée dans les écoles wahabistes structure religieusement partout dans le monde les organisations tak-taks.
Il existe dans le monde, à l’intérieur et à l’extérieur de l’islam de nombreux espaces de confrontation avec le wahabisme.
Au quartier par exemple quand ils viennent trop casser les pieds dans les mosquées expliquant à chacun comment doit se comporter un bon musulman, sous entendant qu’avant leur venue c’était le grand n’importe quoi, cela se règle par des conflits larvés avec les autres écoles de pensée de l’Islam. Quand ils empiètent trop sur la vie et la quiétude du quartier c’est parfois aussi la boite à gifles qui s’ouvre. Au quartier, les situations de tensions font naître des alliances surprenantes, les conservateurs ouvertement islamophobes à la tête de certaines municipalités sont souvent heureux de s’allier avec des musulmans très réactionnaires afin de pourrir le tissu associatif et la dynamique de solidarité du quartier qui peut constituer une opposition politique. Ces pratiques locale résonnent comme un écho local de l’alliance entre les saoudiens et les puissances occidentales. Sous toutes les latitudes les conservateurs savent trouver des terrains d’entente.
C’est pour cela que l’on trouve la plupart des mosquées salaf’ implantées dans des quartiers populaires dans des villes de droite qui doivent gérer de grands ensembles HLM ou des zones pauvres dont les maires méprisent les populations qui y habitent, qu’elles soient croyantes ou non.
A d’autres moments et dans d’autres contextes la confrontation avec le wahabisme peut être militaire comme elle l’est par exemple au Liban, au Kurdistan et en Tunisie. De manière « surprenante », là aussi on assiste à des jeux troubles avec les salafistes cette fois-ci au niveau d’États comme le Pakistan, la Turquie et les USA.
Quiconque veut chercher un remède à ce poison doit tenir compte de la base théorique sur laquelle repose ce mouvement et du contexte social dans lequel il se développe. Et c’est précisément sur cette négation ou l’occultation de ces deux réalités que se construisent les défaites face au Wahhabisme. C’est aussi sur l’oblitération de ces enjeux que prospèrent tous les comportements opportunistes qui ne produisent aucune réponse efficace face à la progression du wahhabisme.
La situation en Tunisie en est la démonstration flagrante.
Le militant Chokri Belaïd est assassiné le 6 février 2013. Deux ans après c’est l’attentat du bardo et toujours les mêmes criminels : les salafistes tunisiens.

Chokri Belaïd
En 2013, le camp moderniste et laïque (ancien régime y compris) réclame la chute du gouvernement Ennahdha, accusant ce parti politique issue de la galaxie des frères musulmans d’avoir pratiquement ordonné l’assassinat du militant de la gauche tunisienne. S’en suit une très longue mobilisation populaire pour faire chuter ce gouvernement.
Aujourd’hui, une partie importante de ceux -puissances impériales comprises – qui réclamaient la chute du gouvernement en 2013 en suspectant et mettant en scène une porosité idéologique entre Ennahdha et les salafistes tunisiens demandent cette fois plus de solidarité face au terrorisme avec le gouvernement d’Habib Essid auquel participe, faut-il le rappeler, Ennahdha.
Hypocrisie géante, d’autant plus que Nidaa Tounes a roulé dans la farine son propre électorat sur sa position face à Ennahdha.
Ces comportements opportunistes ne peuvent produire que des tragédies.
Comme en France, en Tunisie, l’union sacrée contre le terrorisme est sur le point de mettre en place une législation d’exception digne de l’ancien régime de Ben Ali.
Dans les sphères dirigeantes de la Tunisie personne ne s’intéresse à la dynamique propre du terrorisme, au contexte social qui lui sert de substrat et à sa ligne idéologique. Chacun essaye simplement de tirer les marrons du feu de façon plus ou moins vulgaire en exploitant à son compte les actions terroristes.
La réalité est que le salafisme et son expression terroriste en Tunisie échappent, dans sa doctrine et sa logique, autant à l’islam politique d’Ennahdha qu’à l’héritage destourien de Nidaa Tounes mais chacun tente de profiter de ses crimes.
La situation tunisienne nous rappelle que chaque attentat produit autant de dégâts par l’action destructrice des assassins que par les tentatives d’instrumentalisation de ceux qui veulent en tirer un profit politique pour légitimer ou renforcer leur position dominante. Lutter efficacement contre le terrorisme Tak-tak, c’est prendre à bras le corps ces deux axe de lutte, celui de l’injustice sociale sur lequel il prospère et celui idéologique et théologique au sein de l’Islam.

Seuls ceux qui luttent savent...

Seuls ceux qui luttent savent…

2 Réponses to “L’attentat du Bardo : après l’horreur vient l’instrumentalisation”

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