Solidarité antifasciste, de Tel Aviv jusqu’à Paris

23 Juil

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Une mise-au-point s’impose face aux inévitables opinologues qui ont la contraction rhétorique aussi rapide que l’évaporation de leurs neurones : nazislamisme, fascislamisme, pour englober non pas les quelques islamistes repérés parmi les dizaines de milliers de manifestants ayant défilé dans toute la France, mais bien l’ensemble des gens –forcément antisémites– qui ont l’idée –forcément fasciste– de descendre dans la rue pour protester contre la énième boucherie israelienne contre la population de Gaza (plus de 630 morts, des milliers de blessés, civils pour une écrasante majorité, l’équivalent de deux avions de ligne abattus par un missile, 100 000 déplacés).

Personne n’est évidemment en mesure de donner la proportion de Musulmans, de Chrétiens, de Juifs ou de Raëliens dans les cortèges de ces « djihadistes du dimanche », pour reprendre l’expression d’un clown triste tristement connu. Certes, Jean-Yves Camus, grand chercheur en radicalité devant l’Eternel, a bien repéré un petit drapeau d’une organisation salafiste au milieu de la marée humaine du 13 juillet, ce qui lui a permis d’en tirer de grandes conclusions et de mettre sa méthodologie scientifique au service de ce qu’il souhaitait démontrer. Mais de là à dire que ces manifestations sont un appui au Hamas et la preuve de la montée en puissance d’une haine des Juifs qui mènera à une nouvelle Nuit de Cristal, il y a un pas que les pompiers pyromanes du chantage à l’antisémitisme n’hésitent jamais à franchir, accompagnés en rythme par les braiements de l’âne médiatique. Alors répétons-le une fois de plus : la question est politique, elle n’a rien à voir avec la crispation « communautariste » que les prophètes du choc des cultures appellent de leurs incantations, et elle n’a rien à voir avec un quelconque soutien inconditionnel aux roquettes du Hamas et du Djihad Islamique sur les populations civiles du sud d’Israël. Elle est politique et ne se limite évidemment pas à la France, comme ne se limite pas à la France l’agression des manifestants par des faisceaux de combat de l’extrême-droite sioniste.

Samedi 12 juillet, sur la place du le théâtre Habima, en plein centre de Tel Aviv, un groupe d’activistes de gauche était venu manifester son opposition au nouveau pylonnage de la bande de Gaza , dans une manifestation sobrement intitulée « Stop the massacre in Gaza », et rappeler son opposition totale à la politique de colonisation. Des fascistes, à n’en pas douter, d’autant qu’ils soutiennent des positions criminelles, comme le démantèlement des colonies, le retour aux frontières de 1967, le respect de la résolution 242 de l’ONU et –c’est à peine si on ose l’écrire tellement c’est abominable–le retour chez eux des réfugiés palestiniens victimes du nettoyage ethnique de 1948. Heureusement, ils ont été reçus comme il se doit par de valeureux patriotes qui, suivant une habitude patriotique éprouvée ailleurs, leur on cassé des chaises sur la tête et les ont copieusement frappés à coup de barres et autres objets destinés à faire entrer le patriotisme dans le cuir chevelu des plus récalcitrants.

L’un d’entre eux au moins a eu tout le loisir de méditer sur ses errements coupables à l’hôpital, la séance de pédagogie appliquée ayant été un peu trop intense.

Chose curieuse, relevée d’abord par le quotidien Haaretz puis repris par plusieurs sites de gauche, ces jeunes pédagogues arborait des tee-shirts portant le logo plein d’humour Good Night Left Side, pour bien montrer qu’on peut faire œuvre de pédagogie tout en restant drôle : c’est plus efficace, on sait ça depuis longtemps. Rien de tel qu’une bonne leçon avec le sourire, l’enseignement rentre mieux.

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Le problème –oh, léger– c’est que ce logo porté avantageusement par ces missionnaires de l’enseignement en plein air n’est pas une création patriotique israelienne. Il vient directement des milieux néonazis européens et nord-américains, et notamment du réseau nazi-skin Blood and Honour.

Europe Resistance

La plupart des observateurs se sont étonnés -pour dire le moins- de voir des nationalistes israéliens recycler aussi explicitement une imagerie néo-nazie, d’aller chercher leur inspiration dans les milieux d’extrême droite antisémites les plus crapoteux. Pour comprendre ce qui peut apparaître comme un court-circuit idéologique, il faut peut-être regarder qui sont nos joyeux patriotes à la barre de fer. Ils appartiennent à une association dont l’enseignement n’est pas la vocation première : « La Familia », des hooligans ultraviolents du Betar Jerusalem un club dont le foot ne doit pas être la vocation première non plus. Cette filiation permet de comprendre comment il est pensable de rendre compatible un logo nazi et la défense à coup de manche de pioche d’Eretz Israel.

Motards Betar

Jabotinsky, au centre d’une escouade de motards du Betar

Le Betar est en effet une organisation de choc de l’extrême droite sioniste créée pour donner une force de frappe au parti sioniste révisionniste de Zeev Vladimir Jabotinsky, fondé en 1925 après sa rupture d’avec l’Organisation Sioniste Mondiale, dominée par la social-démocratie. Jabotinsky, qui avait appuyé pendant la guerre civile ukrainienne le gouvernement provisoire de Simon Petlioura en 1921, responsable de plusieurs pogroms, ne cachait pas ses sympathies pour le fascisme italien. Il avait d’ailleurs obtenu de Mussolini la permission de fonder une académie navale pour le Betar en Italie. Les thèses des régimes totalitaires fascistes sur la « récupération » des terres nationales entraient d’ailleurs en consonnance avec celles des révisionnistes sur l’imposition d’un État juif sur les deux rives du Jourdain, comme en témoigne le logo de l’Irgoun.

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Des rangs du Betar sont issues les deux organisations paramilitaires juives les plus importantes-et les plus meurtrières- de la Palestine mandataire (sous mandat britannique): l’Irgoun et le Lehi, également connu comme le « Groupe Stern », du nom de son leader charismatique Avraham Stern. Ces deux organisations, explicitement « terroristes », menèrent une politique de terreur contre l’administration britannique, mais surtout contre les populations civiles palestiniennes. L’idée était d’imposer la « muraille de fer » voulue par Jabotinsky, c’est-à-dire un rapport de force brutal destiné à faire comprendre aux Arabes palestiniens qu’ils avaient tout intérêt à partir. La mise en pratique de ces principes mena aux massacres comme celui de Deir Yassin en 1948, et à l’exode forcé d’une partie de la population palestinienne lors de la fondation de l’Etat d’Israel, suivant une politique de nettoyage ethnique conscient et systématique

Si le Betar et l’Irgoun avaient clairement une inspiration fasciste, le Lehi-groupe Stern – une scission de l’Irgoun– porta la cohérence idéologique plus loin encore et tenta dès 1941 un rapprochement avec le 3e Reich, en proposant une alliance aux représentants du régime hitlérien au Liban. Le but de ce rapprochement avait un aspect tactique -les ennemis (allemands) de mes ennemis (anglais) sont mes amis (nazis). Mais il allait beaucoup plus loin : il tentait une synthèse cynique entre l’Ordre Nouveau national-socialiste, fondé entre autres choses sur la disparition par tous les moyens des Juifs d’Europe, et la volonté de ces sionistes révisionnistes ultras d’imposer un État racialisé qui se verrait renforcé par l’afflux des réfugiés venus d’Allemagne, de Pologne, de Lituanie, etc. Là encore, il ne s’agissait pas uniquement d’une sorte de sinistre troc, mais bien d’une convergence idéologique. Le régime que Stern et ses acolytes prévoyaient d’instaurer correspondait structurellement et subjectivement aux coordonnées totalitaires du Reich et de l’Italie fasciste, comme en témoigne un texte on ne peut plus clair envoyé par les responsables du Lehi aux représentants du Reich au Liban en 1941.

Il pourrait exister des intérêts communs entre l’instauration d’un ordre nouveau en Europe en conformité avec la conception allemande, et les véritables aspirations du peuple juif telles qu’elles sont incarnées par le NMO.[…] Le NMO est étroitement lié avec les mouvements totalitaires européens par sa structure et sa conception du monde […]. »

Cette scission franchement fasciste du mouvement révisionniste pendant la guerre reprenait en fait une idée plus ancienne : la collaboration envisagée entre 1936 et 1938 par Jabotinsky avec le gouvernement polonais antisémite dominé par Edward Rydz-Śmigły, le « plan d’évacuation » de la population juive de Pologne, de Hongrie et de Roumanie vers Israël, dont la gestion avait été confiée, précisément, à Stern. L’idée étant de s’appuyer en quelque sorte sur l’antisémitisme européen pour favoriser l’immigration massive en Israël. Un argument, soit dit en passant, qui refleurit ici régulièrement sous la plume de la droite de la communauté juive pour pousser à une émigration massive vers Israël qui permettrait d’accélerer la colonisation. D’où l’invocation systématique d’un retour à l’antisémitisme des années 1930 en France, ou les clins d’œil appuyés à l’extrême droite française, pourtant marquée par une longue tradition d’antisémitisme. La LDJ est explicitement sur cette ligne là.

 Historiquement, le révisionnisme est une composante essentielle du sionisme, dont elle est la version la plus activiste et la plus dure. Elle est actuellement hégémonique au sein de la classe politique israelienne : le Likoud est en effet l’héritier en ligne directe à la fois du Parti révisionniste, de l’Irgoun et du Lehi, dont plusieurs cadres essentiels de l’Histoire d’Israël sont issus (Menahem Begin et Ytzakh Shamir en sont les plus connus). Il gouverne désormais en alliance avec des groupes et des partis qui se situent encore plus à droite, qu’il s’agisse de personnages d’extrême droite « classique » et ouvertement racistes, comme Avigdor Lieberman –encore un ancien du Betar– ou du nationalisme religieux –autre tendance messianique très importante parmi les colons auquel se rattache le parti Kach, maison mère de la LDJ (un parti interdit en Israël et aux États Unis où il est considéré comme terroriste). On rappellera pour mémoire les activités criminelles du rabbin Kahane, fondateur du Kach, ou du colon Baruch Goldstein, autre membre du Kach figure tutélaire de la LDJ, auteur en 1994 du « massacre d’Hébron », 29 morts et 125 personnes désarmées blessés par balle.

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Lieberman avec l’écharpe du Betar Jerusalem

Prétendre que le Betar ou la LDJ, sont en marge de la « communauté juive » autoproclamée représentative tel que l’est le CRIF actuel, totalement dominé par l’aile droite du Likoud, est une imposture. Cette tentation fascistoïde au sein du courant révisionniste est aussi vieille que la structuration de ce courant politique. Les milices qui frappent les militants de gauche, de Tel Aviv jusqu’à Paris, ne sont pas des éléments isolés. Ils constituent les groupes de choc d’un État dont la politique est en voie de fascisation avancée. Il n’est donc pas étonnant de les voir récupérer des éléments et des symboles de mouvements d’ultra-droite européens. Ils doivent être combattus, comme n’importe quelle organisation fasciste, à Tel Aviv comme à Paris.

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