La banane se mange par les deux bouts, François Morel et le moralisme

5 Nov

Dans un édito sur France inter, François Morel l’humoriste prend fait et cause pour Christiane Taubira prise à partie de manière grotesque et injurieuse à Angers. Les militants de la mouvance « la manif pour tous » traitant de guenon leur adversaire politique parce qu’elle est noire.
françois morel
Etant donné le climat politique qui pousse au racisme décomplexé , dans un premier temps on peut se dire que l’attitude de François Morel est préférable à celle de son collègue de RTL Eric Zemmour qui se pose en défenseur de la race blanche et plus particulièrement des hommes blancs menacés par une femme noire.

Seulement, tout n’est pas aussi simple.

François Morel défend un antiracisme moral. Cette manière de concevoir l’antiracisme est stérile et dangereuse puisqu’elle cède du terrain aux réactionnaires qui utilisent le politiquement incorrect pour véhiculer les discriminations et le racisme sous ses toutes formes.

On ne peut pas lutter efficacement contre les injustices avec d’autres injustices.

Dans son sketch, François Morel parle de Schoelcher. Déclarant que c’est un grand homme qui a aboli l’esclavage. C’est inexact, il a aménagé les rapports de domination au contexte social de l’époque. On passe de l’esclavage au salariat, parce que le système d’exploitation féodal de l’ancien régime est moins performant que le capitalisme qui émerge à cette époque.

Dire qu’il est un grand homme, revient aussi à dire que ce sont les institutions de l’État qui protègent les populations avec bienveillance.

Rien de plus faux : seule la lutte acharnée des personnes réduites en esclavage a fini par faire céder les institutions, Toussaint Louverture a montré la voie qui mène à la liberté.
Toussaint Louverture
Autre chose importante à relever : la banane n’est pas seulement bonne pour la santé des enfants, racistes ou pas. C’est un des fruits de l’exploitation d’une main d’œuvre corvéable à merci dans des pays qui sont d’anciennes colonies.

S’il coûte peu cher dans un pays comme la France alors qu’il vient de loin, c’est qu’il est arrosé sur des terres polluées avec le sang et la sueur de celles et ceux qui sont pour beaucoup d’entre nous de la famille au bled.

Si aujourd’hui des mômes assimilent des personnes noires à des singes, c’est parce qu’on fait croire sciemment que les noirs, les anciens colonisés et les pauvres sont des mineurs en politique.

C’est le renversement des rôles dans le discours dominant qui nie les luttes pour l’émancipation afin de maintenir les dominé.e.s en position d’assisté.e.s.

Prétendre que le racisme c’est mal, c’est se placer uniquement sur le plan  de la morale. Les décennies précédentes prouvent que le moralisme n’a jamais fait reculer les racismes.

L’antiracisme doit revenir à ses fondamentaux, c’est un combat politique et non une simple question d’éducation. Le racisme prend ses racines dans les questions sociales, économiques et culturelles.

Faire passer Victor Schoelcher pour un libérateur alors que les vrais héros ce sont Toussaint Louverture et toutes celles et ceux qui ont lutté contre l’oppression du maître, c’est une concession aux faiseurs d’opinions Soral, Zemmour, Finkielkraut et compagnie qui n’ont de cesse d’affirmer la grandeur et la supériorité de la France couleur quenelle.

La banane qu’on tente de nous faire manger par les deux bouts est indigeste. Au racisme crasse répond un paternalisme malveillant ou fondé sur la pitié, et donc voué à l’échec.

Politiser les masses, ce n’est pas, ce ne peut pas être faire un discours politique. C’est s’acharner avec rage à faire comprendre aux masses que tout dépend d’elles, que si nous stagnons c »est de leur faute et que si nous avançons c’est aussi de leur faute, qu’il n’y a pas de démiurge, qu’il n’y a pas d’homme illustre responsable de tout, mais que le démiurge c’est le peuple et que les mains magiciennes ne sont en définitive que celles du peuple.

Les Damnés de la Terre (1961), Frantz Fanon, éd. La Découverte poche, 2002, p. 187

2 Réponses to “La banane se mange par les deux bouts, François Morel et le moralisme”

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  1. Mourir du rire | quartierslibres - 27 janvier 2014

    […] L’attitude des militants de la « manif pour tous » à l’encontre de la ministre Christiane Taubira est révélatrice de la vitalité du racisme en France. Cependant, tout cela est exprimé de […]

  2. La « dissidence soralienne », c’est la BAC de la pensée. | quartierslibres - 7 novembre 2014

    […] face aux pauvres qui profitent, aux femmes, aux minorités sexuelles, aux musulmans et aux noirs alors que les patrons et la classe dominante à laquelle ils appartiennent n’ont jamais […]

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