Séance du dimanche. M.I.L.

24 Jan

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Septembre 1973. Quelques jours après le coup d’État de Pinochet au Chili, plusieurs militants du M.I.L., dont Salvador Puig Antich étaient arrêtés par la Guardia Civil franquiste à Barcelone. La seule bonne nouvelle de l’année devait venir de l’attentat réussi d’E.T.A. contre le dauphin désigné du dictateur espagnol, l’amiral Carrero Blanco, sacré champion du monde de saut en limousine le 20 décembre.
La courte existence du M.I.L., de 1971 à 1973, constitue une expérience très intéressante de dépassement de l’anarchisme institutionnel et du bureaucratisme de la plupart des organisations marxistes de l’époque, plus occupées à pondre des exégèses théoriques et empailler les grands ancêtres qu’à pratiquer une action révolutionnaire sans pour autant se perdre dans un activisme pur. Le M.I.L. (Mouvement ibérique de libération, également écrit « 1000 ») s’inscrit évidemment dans le prolongement des révolutionnaires de Barcelone de mai 1937. Il est constitué de jeunes militants en rupture de ban, d’inspiration anarchiste, conseilliste et situationniste, qui prônaient un retour à l’action directe et à l’agitation armée, partant d’une critique radicale de ce qu’ils appelaient « les formes capitalistes de contrôle au sein de la classe ouvrière : groupuscules, partis, syndicats ». Il agissait essentiellement dans un triangle Barcelone-Perpignan-Toulouse, où ils pouvaient compter sur le soutien des exilés espagnols. Rompant avec ce qu’il considéraient comme l’attentisme sclérosé des organisations traditionnelles, il pratiquaient un retour à l’action et un renouvellement du discours, des références et des pratiques militantes. Le financement était assuré en grande partie par des actions de « reprise », ou d’« expropriations de banques », ce qui permettait à la fois de renforcer les réseaux et de développer les actons de résistance au franquisme finissant : alimentation des caisses de grève, exfiltration de militants recherchés de l’autre côté de la frontière. Cet activisme était plutôt mal vu par les vieilles barbes estampillées révolutionnaires, qui voyaient d’un mauvais œil l’illégalisme du M.I.L. –que certains moralisateurs n’hésitaient pas à assimiler à de la délinquance– et tiquaient à la lecture de leurs brochures, assez hétérodoxes dans leurs références et très marquées par la contre-culture de l’époque. Il faut dire que le milieu militant comporte –à toutes les époques– un grand nombre de barbons hermétique à toute forme d’humour, et que le cocktail détonnant proposé par le M.I.L., qui leur donnait une leçon d’activisme tout en maltraitant les codes graphiques traditionnels du gauchisme de cabine téléphonique, du communisme de caserne ou de l’anarchisme de catacombes. La publication principale du M.I.L. avait été baptisée … C.I.A. (Conspiration Internationale Anarchiste). La lecture de ces brochures clandestines (ici, et encore ) ne laisse aucun doute sur plusieurs points : il n’était pas question d’abandonner la diffusion de textes théoriques –anarchistes, conseillistes et situationnistes–, mais cette diffusion était ancrée dans un présent militant –sur l’expérience des Tupamaros en Uruguay ou sur la lutte armée des Brigades Rouges et des groupes autonomes en Italie– et elle était renforcée par le recours à des pratiques graphiques très efficaces, et en particulier le détournement d’images et de bande dessinées dans un sens révolutionnaire. La rencontre souhaitée entre la théorie et la pratique –grand souci des militants de toute la galaxie révolutionnaire– prend par exemple la forme du détournement d’une BD érotique, ce qui a certainement fait grincer bien des dents jaunies par de longues réunions d’appareil…

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Le M.I.L. s’est auto-dissous en août 1973, pour être en cohérence avec sa position vis-à-vis de la lutte armée, qui ne devait pas être une fin en soi : il s’agissait pour eux d’échapper à la militarisation de l’organisation, dont ils percevaient le risque et les limites. Là encore, cette auto-dissolution –qui ne signait pas l’arrêt de toute action militante de ses membres, loin de là– avait donné lieu à une présentation assez ironique, dans le bulletin de la C.I.A. qui en informait :

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Début mars 1974, Salvador Puig Antich, condamné à mort, était assassiné par l’État espagnol dans la prison Modelo de Barcelone. Une grande partie des militants et des bases d’appui du M.I.L. se retrouverait ensuite dans les G.A.R.I. (Groupes d’Action Révolutionnaire Internationaliste), sur lesquels Jann Marc Rouillan a laissé plusieurs témoignages intéressants (ici, et ).

Plusieurs documentaires sur le M.I.L.

MIL (édition CRAS)
http://cras31.info/spip.php?article69

– »El MIL, historia de una familia con historia », de Martina Loher Rodriguez, 2006.

Documentation sur le MIL

http://www.mil-gac.info/spip.php?page=sommaire_fr
http://cras31.info/spip.php?article69
http://www.lechappee.org/histoire-desordonnee-du-mil

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  1. Séance du dimanche. La dialectique peut-elle casser des briques ? | Quartiers libres - 7 février 2016

    […] avant et surtout après le 22 mars 1968, puis reprise un peu partout dans le monde (le M.I.L. antifranquiste, Class War en Angleterre dans les années 1980), pour ne citer que deux exemples). […]

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