Le chant du départ

12 Déc

C’est quasiment en musique qu’on nous appelle à sauver la République.

« Du nord au midi » ce n’est pas la Liberté qui guide les pas de ceux claironnent qu’il faut sauver la république. Le spectacle est affligeant, comme l’a été cette campagne. « Et du nord au midi » on assiste aux petits arrangements entre appareils politiques et aux incantations républicaines de ceux qui instrumentalisent et reprennent quotidiennement la doxa façonnée par le Front National et le travail des idéologues d’extrême droite entamé par Alain de Benoist il y a plus de 40 ans.
Les représentants politiques sont dans leur immense majorité au choix : rejetés, moqués ou ignoré. L’abstention massive de ces élections en témoigne.
Mais cela n’empêche pas les états-majors politiques de continuer à parader sur les plateaux télé avec leur logorrhée que plus personne n’écoute et ne prend aux sérieux. Pour ces « guerriers » républicains, il ne s’agit pas de mourir pour la République mais bien de continuer à en vivre grassement. Ils en appellent au peuple et au « sursaut » républicain pour qu’on donne une légitimité démocratique à leur prédation du quotidien et à leur combine. A la fanfare républicaine, on préfère un classique du quartier :

« L’espoir tué par des fanatiques libéralistes
Pas de bombes sales, ni de grosses salves
La stratégie est simple ils exploitent et ils affament
Quand on les voit à la télé ces cons ont l’air affables
Mais le monde est à genoux quand ces bandits sont dix à table
Des comptes sous faux noms
Ils prétendent agir au nom de la liberté, mais c’est la monarchie du pognon »

On pourrait faire un inventaire sans fin de leur prédation et de leur vénalité, sans passer par les plus caricaturaux souvent de droite comme les Balkany, prenons juste comme exemple le patron sortant de la région Île de France. Jean-Paul Huchon, un « bon Président », à la tête d’une région de « gauche » avec une majorité « de gauche ». Jean-Paul Huchon, a été condamné pour prise illégale d’intérêts, pour avoir poussé le Conseil Régional qu’il dirige à passer des contrats avec trois sociétés de communication qui employaient sa femme en 2002 et 2003. Sa femme, Dominique Le Texier, est condamnée pour «recel de prise illégale d’intérêt». Elle a «sciemment profité des fonctions exercées par son mari», dit le tribunal. Il souligne que les manœuvres frauduleuses lui ont permis de toucher des indemnités de chômage entre deux contrats. Et pendant ce temps, nous, au quartier c’est régime chômage sans allocation. Tous les jours on assiste à la prédation de cette classe. Il faudrait que l’on se sente un point commun avec toute cette clique d’élus de la république ?

bonny_and_clyde_balkany

La quasi-totalité des partis qui se présentent avec conviction dans le jeu institutionnel bourgeois et républicain font mine de ne pas remarquer le fait essentiel de cet épisode électoral qui ne diffère pas pourtant des précédents : la majorité des français ne se reconnaît pas en eux ni dans les institutions républicaines. En Île de France que ce soit Pécresse ou Bartolone, le futur président de région aura réuni moins de 12% du corps électoral au premier tour. 1 électeur sur 9 et le 14 décembre il ou elle aura le droit de décider pour 12 millions d’habitants. Elle est belle « la démocratie de la république une et indivisible ». A quelques exceptions près, dont celle de Mélenchon, aucun leader de la gauche n’ose faire ce constat politique. Reprenons les mots de l’ancien sénateur et républicain non repenti :

«C’est une terrible insurrection froide. Elle se traduit par un niveau d’abstention record. Plus d’un Français sur deux n’a pas voté, 60 % des ouvriers et 70 % des jeunes ! Dans ce contexte, la prime va à ceux qui se mobilisent le mieux. Aujourd’hui, c’est le FN. La société se détourne de ses représentants politiques traditionnels et des institutions. Ce mécanisme, c’est celui qui fait monter l’exigence : « Qu’ils s’en aillent tous ! ».

Et que nous dit encore celui qui a pantouflé au cœur des cénacles républicain et qui la soixantaine passée découvre la supercherie républicaine face aux succès électoraux « du nord au midi » du Front National ?

« Dans ces deux régions, où il n’existe plus de vote de gauche possible, je me garderai bien de donner des consignes. Le choix de chacun n’est plus politique, mais moral et philosophique. Chaque personne doit se demander si elle peut violer sa conscience politique au profit d’un impératif réputé supérieur. Plutôt la droite que le FN ? A condition qu’il y ait une différence ! Ce n’est pas à nous de la proclamer. Si M. Estrosi veut mériter des votes de gauche, c’est à lui de montrer qu’il est radicalement différent du FN et non pas identique comme beaucoup de gens le pensent dans nos rangs. Idem pour Xavier Bertrand. « Faire barrage à l’extrême droite » sans aucune exigence ni engagement préalable sur les principes essentiels est un blanc-seing très dangereux. Le seul choix honorable en démocratie, c’est d’assumer le combat d’idées en faisant confiance à l’intelligence du peuple souverain. ».

Belle lucidité que l’on partage mais sans illusion sur cette posture franche et nouvelle de l’ancien sénateur. Cela lui permet de se construire méthodiquement comme l’homme providentiel de la gauche. Comme pour tout bon tribun l’ambition du César n’est jamais loin.

Ce dimanche 13 décembre 2015, quel que soit ce qui sortira des urnes quand les électeurs dépeints en « guerriers républicains » reviendront « dans nos murailles » peu de chance qu’ils reviennent « beaux de gloire et de liberté ». La république pour laquelle ils combattent est pourrie jusqu’à la moelle, sapée par ses contradictions qui sont vieilles comme l’idée républicaine elle-même. Jaurès en 1906 expliquait « sans la République, le socialisme est impuissant et, sans le socialisme, la République est vide ». C’est dans ce vide que se développent les succès électoraux du FN. C’est dans ce néant républicain que les Macron, Valls et Hollande s’épanouissent et entrainent dans leur sillage libéral les élus d’un Front de Gauche sans boussole politique. Le plus bel exemple de cette perte de repères ce sont les députés Front de Gauche qui peuvent voter un état d’urgence au premier son du canon.

valls_bartolone

Jaurès, toujours lui, il y a 110 ans prenait a témoins les parlementaire républicains bourgeois lors d’une intervention à l’assemblée :

« Là encore, vous avez fait la République, et c’est à votre honneur (…), mais par-là vous avez institué entre l’ordre politique et l’ordre économique dans notre pays une intolérable contradiction. Dans l’ordre politique, la nation est souveraine et elle a brisé toutes les oligarchies du passé ; dans l’ordre économique la nation est soumise à beaucoup de ces oligarchies (…). Oui, par le suffrage universel, par la souveraineté nationale, qui trouve son expression définitive et logique dans la République, vous avez fait de tous les citoyens, y compris les salariés, une assemblée de rois. C’est d’eux, c’est de leur volonté souveraine qu’émanent les lois et le gouvernement ; ils révoquent, ils changent leurs mandataires, les législateurs et les ministres ; mais au moment même où le salarié est souverain dans l’ordre politique, il est dans l’ordre économique réduit à une sorte de servage. Oui ! Au moment où il peut chasser les ministres du pouvoir il est, lui, sans garantie aucune et sans lendemain, chassé de l’atelier. (…) Et c’est parce que le socialisme apparaît comme seul capable de résoudre cette contradiction fondamentale de la société présente, c’est parce que le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale, c’est parce qu’il veut que la République soit affirmée dans l’atelier comme elle est affirmée ici ; c’est parce qu’il veut que la nation soit souveraine dans l’ordre économique pour briser les privilèges du capitalisme oisif, comme elle est souveraine dans l’ordre politique, c’est pour cela que le socialisme sort du mouvement républicain. »

Les forces de gauche plutôt que de vouloir consolider cet édifice voué à la ruine feraient mieux de réfléchir, comme le disait Jaurès, à sortir du mouvement républicain qui ne sert que les intérêts des classes sociales dominantes.
Le 13 décembre 2015, pas moyen de défendre cette république asphyxiée parce qu’empêtrée dans ses contradictions de classes. On n’ira pas sauver ces élus qui représentent moins d’un cinquième d’entre nous. Si le peuple massivement ne sauve pas « ses » élus de gauche c’est qu’ils ne servent pas à grand-chose. C’est évidement brutal, mais c’est le seul constat qui s’impose. Si leur utilité était évidente : ils n’auraient pas besoin de battre le rappel comme ils le font aujourd’hui. En Île de France, par exemple, le seul bilan positif tangible de la gauche c’est le dé-zonage du Pass Navigo. C’est l’argument massue du Front de Gauche pour nous appeler à voter Bartolone, Président de l’Assemblée Nationale qui depuis l’élection de Hollande mène la politique que l’on connait. Si ces élus vivaient un peu plus notre quotidien ils comprendraient pourquoi le dé-zonage en Île de France, aussi utile soit-il ça ne fait pas sortir les foules d’électeurs des quartiers populaires. Ce n’est pas avec une carte de transport moins chère que les quartiers populaires vont retourner dans « le jeu démocratique Républicain».

« Mais j’ai maté sous la table et j’ai vu que c’était que des palabres
La vraie mafia on la cherche pas en Calabre ni dans ce bled
Où dans les quartiers pauvres à quarante ans on tombe malade
A fumer du mauvais tabac et manger de la merde
Où le xanax fait un tabac avec l’alcool fort
Les rues deviennent des grosses forges
Et le métal y est commun monté sur grosses crosses »

Il faut qu’ils remettent un peu plus les pieds dans nos quartiers, et pas seulement au moment des élections quand il s’agit de gratter notre soutien pour les propulser dans des assemblées qui les transforment en amnésiques après le scrutin.

Les élus de droite mais aussi de « gauche » sont bien a l’abri des oppressions de classe, de race et de genre que l’on subit au quotidien et que bien souvent ils organisent dans le cadre des lois qu’ils votent pour garantir le maintien de l’ordre social républicain injuste.

« La République, elle passe ses week-end en régate
Puis se prostitue de toutes parts pour un airbus ou une frégate
Elle exécute dans une grotte des opposants kanaks
Et mange à table avec des gars style Giancana
Puis explose le Rainbow Warrior
Et dessine les frontières du tiers-monde à la terrasse du Marriott
Sponsorise les fanatiques aux 4 coins du monde
Les entraîne au combat et manipuler les bombes
Le collier casse, ces cons échappent à tout contrôle
Et quand ils mordent la main du maître alors on crie aux monstres
Ils discutent notre futur autour d’un pichet
Pour notre sécurité zarma, ils veulent nous ficher
C’est la France de derrière les stores
Et j’en ai marre de m’faire gruger
Par des tronches de dispensés de sport
Je me bats pas pour la porsche mais pour un meilleur monde
Avec mes petits bras »

Les violences policières, les injustices sociales, les violences racistes, les ségrégations sociales, raciales et spatiales c’est ça la république au quotidien dans nos quartiers.
Évidemment que cela sera pire avec le FN. Marion Maréchal-Le Pen. La nièce le Pen, c’est pire qu’Estrosi qui est lui-même pire que le barbu que le PS a sacrifié en région PACA , qui est pire que ce qui se trouve à sa gauche.

santa_barbara

Seulement on nous vend la douille du moins pire depuis 40 ans. Depuis 4 décennies c’est toujours plus de recul et de résignation, et aujourd’hui nous voilà au pied du mur face aux assauts de l’extrême droite.
Notre choix n’a jamais été de rester passif entre le marteau de l’extrême droite et l’enclume républicaine. Une bonne partie d’entre nous a déserté mais un nombre croissant s’organise sur d’autres bases avec une autre perspective.
L’essentiel ce n’est pas de voter le 13 décembre 2015 : la république ne sera pas en danger le 14. L’essentiel, aujourd’hui, c’est de lutter et de s’organiser pour porter un autre projet de société. C’est de ne rien lâcher sur ce que doivent être les combats de la gauche révolutionnaire et des classes populaires.
En 1847, un spectre hantait l’Europe, c’est un phénix aujourd’hui qui survole l’Europe. La situation est tellement tendue qu’une étincelle peut embraser tout le continent. Plus que jamais cela sera socialisme ou barbarie. Notre tâche est de mener ce combat comme le font les camarades en Palestine, au Kurdistan et partout dans le monde où les gens croient en ce qu’ils font et endurent des conditions de vie et de lutte bien plus dure que les nôtres. Tout ce que nous entreprenons dans nos quartiers en mettant en avant les valeurs de solidarité et d’entraide donne de la force à l’idée d’une alternative sociale, solidaire et populaire. Cela rend vivant l’idée de ce à quoi nous aspirons.

Palestine_Lutte

Chacune de nos luttes du quotidien contre les violences policières, contre le racisme, pour plus de justice sociale, tous nos moments festifs sont autant de rencontres où nous rompons l’isolement, où nous tissons un réseau fait de combats communs et de solidarité mais c’est aussi une propagande par le fait qu’un autre monde basé sur la fraternité l’égalité et la solidarité est possible. Si l’on participe à ces moments collectifs, aussi modestes soient-ils, on contribue à redonner des forces au phénix qui hante l’Europe bien plus sûrement qu’en allant voter pour des élus qui aux choix : nous méprisent, nous oublient et dans tous les cas ne nous protègerons jamais de l’extrême droite. Ou sont tous les élus de gauche quand depuis le 13 novembre dans nos quartiers la police s’en donne à cœur joie à rejouer la bataille d’Alger avec des perquisitions inutiles qui violentent nos familles et nos proches pour lutter soi-disant contre l’état islamique ? On nous demande une fois encore aujourd’hui de sauver une république corrompue qui nous enfonce dans la misère et nous livre à l’extrême droite. On connaît la petite musique qui nous dit mais toute la république n’est pas pourrie il y a des élus sincères et efficaces pour défendre les classes populaires. Admettons. A ceux-là on répond: « sauvez-vous vous même ». Si vous faites du bon travail, les gens devraient massivement voter pour vous. Si vous avez besoin de battre le rappel avec dans votre besace une simple carte de transport c’est que vous ne servez à rien.
On ne saurait mieux résumer la situation qu’avec la chanson d’IAM « la fin de leur monde » écrite en 2006, elle explique clairement pourquoi dans nos quartiers une large fraction des nôtres se détournent de la république :

« On vit en ces temps où dans un taudis de Paris
36 gosses meurent brûlés vifs quand les demandes en HLM dorment
Depuis des années dans les archives
Alors que des employés de la mairie en obtiennent avec terrasse et parking
T’appelle pas ça du racisme ?
Après ils pleurent quand perdus on revient aux racines
Ils ont caricaturé nos discours radicaux
Et l’ont résumés par « wesh wesh » ou « yo yo » !
Nous, complexés, si peu sûrs de soi
On s’interpelle entre nous, comme rital, rebeu ou renoi
Chaque jour, la grande ville resserre l’étreinte
Et tu peux voir les noms des nôtres évaporés, écrits sur des trains
Ma vie, un mic, une mixette, loin des ambitions
De qui sera élu président en 2007
J’adore ce moment où ils dévoilent le minois
De qui devra tailler des pipes monumentales aux chinois
A défaut d’argent putain, donnons du temps
Dans nos bouches le mot liberté devient insultant
Car c’est les soldats qui le portent et non plus le vent
Comme si le monde était rempli de cruels sultans
Mécontent des schémas qu’on nous propose, je cultive maintenant
Les roses dans mon microcosme
Mesure les dégâts minimes que mon micro cause
Ça ne peut qu’aller mieux alors j’attends la fin de leur monde… »

5 Réponses to “Le chant du départ”

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