L’IDÉOLOGIE RÉPUBLICAINE
En France, la République est présentée comme la Solution à tous les problèmes. Pourtant… La République n’existe pas ! Il existe des républiques qui diffèrent dans le temps et l’espace. La République islamique d’Iran, la République fédérale des Etats Unis d’Amérique, la République bolivarienne du Venezuela, la République algérienne démocratique et populaire et la République française sont tous officiellement des régimes républicains mais tous divergent sur les plans politique, religieux et économique. Le terme république ne suffit pas à définir un mode de fonctionnement politique précis.
Un problème de définition
Selon le CNRTL du CNRS, le terme « République » correspond à une « Organisation politique d’un État où le pouvoir est non héréditaire, partagé et exercé par les représentants (généralement élus) d’une partie ou de la totalité de la population. » . L’émergence de systèmes républicains où des dynasties se mettent en place (Bush, Assad, Jong III) limitent même cette définition. D’ailleurs, il faut distinguer démocratie et république : toutes les démocraties ne sont pas des républiques, et toutes les républiques ne sont pas des démocraties. Pour preuve, la République arabe syrienne est une république non-démocratique. À l’inverse, les monarchies danoise et suédoise ne sont pas des républiques, mais sont considérées comme des démocraties. En somme, le mot république recoupe une multitude de réalités politiques.En outre, la république n’est pas figée : elle est le résultat d’affrontements politiques. C’est un produit historique et non une idée tombée du ciel. La République française a changé de visage à nombreuses reprises depuis la proclamation de la Première République en 1792. Elle s’est construite en opposition et sur les décombres de la monarchie française. D’ailleurs, elle en conserve bien des aspects, ainsi qu’en témoigne l’expression de « monarchie présidentielle » qui sert à désigner la Cinquième République. Elle incarne la rupture du féodalisme et la Révolution industrielle. En France, elle incarne le visage politique du capitalisme, la fameuse République bourgeoise.
Une histoire mouvementée
La question religieuse est centrale dans l’évolution des républiques françaises, au travers du rôle politique de l’Église catholique. Tour à tour ennemie politique à soumettre, concurrente idéologique, cible de l’anticléricalisme. L’Église entretient avec la République une histoire fluctuante, évoluant au gré des rapports de force et des opportunismes politiques. Ainsi en 1801, des prières pour la République furent instituées. Une autre dimension dans l’élaboration de la notion de république française est le rapport à la question sociale. Rapport conflictuel qui trouvera son règlement temporaire dans l’écrasement de la Commune en 1871 durant la « Semaine Sanglante ». La République a choisi son camp, celui de la bourgeoisie.
Guerre sociale en métropole, guerre raciale dans les colonies : violence, racisme, exploitation, pillage, domination. La deuxième conquête coloniale a débuté durant le Second Empire, mais c’est la Troisième République qui va continuer et étendre la prétendue « œuvre civilisatrice » dans les colonies. Enfin, c’est la Troisième République qui se suicidera en accordant les pleins pouvoirs à Pétain, votés par le parlement républicain.
Face aux aspirations de liberté des peuples colonisés, la Quatrième République n’aura pour unique réponse que la guerre dans les colonies : au Cameroun, à Madagascar en 1947, en Algérie de 1954 à 1962 et en métropole c’est la Cinquième République qui va s’illustrer lors de la répression et du massacre d’octobre 61.
Mythe politique
Malgré cette réalité historique mouvementée, on assiste à l’heure actuelle à une tentative de révisionnisme historique, dont l’un des objectifs est de nous faire croire que de la Révolution française à aujourd’hui, l’histoire de la République serait linéaire, interrompue seulement par la « parenthèse » Vichyste.
L’idéologie Républicaine est un mythe politique : elle a pour objectif de mobiliser, d’embrigader, de taire les critiques et de faire diversion.
Une partie des républicains, de Jean Pierre Chevènement à Manuel Valls and Co, ont reproduit bon nombre des pratiques et discours de l’Eglise. On retrouve dans leurs phrasés un vocabulaire qui relève plus du champ religieux et du sacré que d’une doctrine politique sécularisée. Ainsi, l’école républicaine se doit d’être un « sanctuaire sacré ». La laïcité, elle aussi, est « sacrée », et c’est la « Raison » qui devrait « guider le chemin ».
La République serait-elle un miracle tombé du ciel des « Lumières », loin des contingences humaines et historiques ?
LE TEMPLE RÉPUBLICAIN
La République est une forme d’organisation du pouvoir qui, en soi, n’a pas d’autres « valeurs » que celles que l’histoire lui a léguées, ou celles que l’on croit (ou fait croire) que l’histoire lui a conférées.
Le texte sacré, son miracle, ses saints et pieux ancêtres
Aujourd’hui, la série de lois sur la laïcité de 1905 est considérée comme le cœur de la République française. Comme bon nombre de textes religieux, ces textes sont sujets à de multiples interprétations (laïcité ouverte, de combat, etc) : peu de gens les lisent, peu de gens les maitrisent, et pourtant beaucoup s’en revendiquent.
La République, et seulement la République française, se doit d’être le modèle universel de gouvernance de la communauté humaine. L’alpha et l’omega de la République française sont désormais incarnés par une certaine idée de la laïcité, une laïcité de combat : la guerre sainte républicaine est déclarée !
Tous les ingrédients sont réunis : tribunaux médiatiques d’inquisition, idéologues, lois d’exception, police de la pensée et surtout, auto-justification permanente des minorités religieuses pour obtenir le sésame, le certificat de bonne conduite républicaine.
Autre effet de ce combat, la réappropriation de personnalités historiques, rentrées au Panthéon sacré, tel Jean Jaurès, dont on gomme l’appartenance politique socialiste au profit d’une incarnation apolitique. Au dessus des conflits bassement politiques, le Jaurès pacifiste se fait alors cannibaliser par la république guerrière. Jules Ferry, dont on gomme le colonialisme, est présenté comme le grand patriarche des enseignants français.
Il y a aussi les pieux ancêtres, Voltaire et tant d’autres, qui par leur « lumières » sont censés éclairer « le chemin vers la Raison », passant outre les réalités de l’esclavagisme, du racisme, du colonialisme, de la guerre sociale et du sexisme, le tout dans un récit mythique gommant les « détails de l’Histoire nationale française ».
Tout comme on rêve de rejoindre le paradis perdu, il faudrait revenir à cette sacro-sainte République parfaite, trahie et dénaturée par ses nouveaux barbares que sont les classes populaires. Quitte à masquer la réalité historique et les affrontements politiques permanents.
L’IMPASSE RÉPUBLICAINE
À entendre les discours de bon nombre de républicains actuels, on est en droit de se demander si nous ne sommes pas face à une sorte de pensée magique :
La pensée magique est une expression définissant une forme de pensée qui s’attribue la puissance de provoquer l’accomplissement de désirs, l’empêchement d’événements ou la résolution de problèmes sans intervention matérielle. Ce type de pensée se manifeste principalement au cours de l’enfance et est, à l’âge adulte, appréhendé par la médecine comme un symptôme d’immaturité ou de déséquilibre psychologique.
Ainsi, la fameuse République française serait en capacité de régler tous les problèmes et dysfonctionnements de la société : le chômage de masse, les crises du système capitaliste, l’apartheid urbain, l’éducation nationale en crise, les crises environnementales, le chaos généralisé au Moyen Orient, et tutti quanti. La République, dans sa grande mansuétude, va remédier à tout.
Soyons sérieux-ses. Une large partie de la gauche et de la droite, dans leur incapacité à régler les questions économiques et sociales, se focalisent sur les valeurs et les principes de cette République, comme si le modèle politique républicain était en lui-même un système économique et social.
Devant leur impuissance, et surtout leur acceptation des inégalités, ils en sont réduits à agiter la République comme un totem magique.
Ironie de l’histoire
Ce sont les mêmes qui sont les plus critiques envers les systèmes religieux qui sont les représentants de cette religion civile qu’est le républicanisme. Ils n’ont pas la foi en une croyance supérieure mais juste en des rites et une rhétorique. La République devient superstition.
Face au chômage, à la relégation sociale, à l’antisémitisme, à l’islamophobie (pardon, au « racisme antimusulman » !!), une seule solution : La République. Mais concrètement, ça veut dire quoi ? On attend toujours la réponse.
Deuxième ironie de l’histoire : Les mêmes qui, quelques décennies auparavant, auraient scandé « Révolution ! » scandent maintenant « République ! ». Comme si le crier bien haut et bien fort, le répéter dans tous les médias, allait changer la réalité sociale. Ce retour en force de la République dans les discours est révélateur d’une absence de propositions pour une alternative.
Conversions de masse et radicalisation républicaine
On parle beaucoup du repli identitaire chez les Français de confession musulmane ou juive, mais jamais du repli identitaire d’une large partie de la gauche dans le républicanisme. L’autre grigri politique en vogue est l’universalisme, sans jamais le définir et le confronter à sa réalité.
Caroline Fourest et Alain Finkelkrault sont des exemples du basculement d’un discours dit de gauche à un discours néoconservateur, culturaliste et identitaire.
On assiste dès lors à une conversion de membres de la gauche radicale à l’universalisme républicain. Une partie de la gauche radicale se réfugie dans ce discours pour masquer leur abandon des classes populaires. Ils renient les luttes politiques menées ces cinquante dernières années sur les questions de race, de classe, de genre et de ségrégation territoriale.
Ils se drapent ainsi dans des valeurs soi-disant universelles pour masquer leur acceptation du capitalisme néolibéral et leurs mépris des dominés : classes populaires jugées comme trop matérialistes, trop croyantes, trop beaufs, trop antisémites, trop capitalistes, etc.
Les plus radicaux sont souvent les nouveaux convertis. Il faut qu’ils fassent oublier leur passé politique, qu’ils trainent comme un casier judiciaire. Le seul moyen de le masquer, c’est de jouer au plus républicain des républicains, au plus européen des européens, au plus laïcs des plus laïcs.
Le seule chose qu’ils nous proposent, c’est que si le « Peuple français » répète à haute voix, souvent, que la République est la Solution à tous leurs maux, les inégalités économiques, sociales, de genre, territoriales etc. se résorberont face … à la puissance républicaine. Une célébration auto-réalisatrice !
Les dirigeants politiques, qui se prétendent réalistes, ne proposent pas de perspectives : rien d’autre que le maintien du système politique et économique tel qu’il est, l’incantation républicaine comme seul remède. Ils ne savent rien faire d’autre sinon agiter des moulins à prière en espérant que la machine à faire du fric continue de tourner sans se gripper.
L’histoire politique française bégaie
La République, système politique majoritaire sur la planète, est devenu, ou plutôt redevient, une église politique. Beaucoup d’analyses médiatiques évoquent le « retour du religieux ». Étrangement, ces articles ne concernent jamais l’idéologie républicaine, qui, à certains égards, a tout d’une religion politique : ses églises, ses saints, ses mythes, ses rites, son vocabulaire sacré, ses querelles d’interprétation, son inquisition. Les classes populaires, croyantes ou pas, ne réclament, elles, que la justice sociale et économique.
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