Nous sommes leur ennemi commun

26 Mai

La répression qui s’abat sur le mouvement social contre la loi « travaille ! » et contre l’ensemble des luttes n’arrive pas de nulle part. Elle sévit dans les ZAD en passant par le centre-ville de Rennes, les rues de Paris ou les piquets de grèves. Cette violence d’Etat a été déployée pendant des années dans nos quartiers populaires. Son usage est aujourd’hui généralisé à l’ensemble de la population. Des équipes de bacqueux ou de Compagne d’Intervention lâchés en mode chiens enragés dans les cortèges jusqu’au déploiement du RAID pour mettre fin à une occupation en passant par ce qui ressemble à une fabrication de coupables par une justice aux ordres, tout cela est depuis 30 ans le quotidien de nos quartiers.

police_au_quartier

Le garrot sécuritaire utilisé pour étouffer toute contestation sociale dans nos quartiers est aujourd’hui employé pour criminaliser les mouvements sociaux. Il y a juste besoin de passer par quelques adaptations médiatiques les « casseurs » en survêtes et casquettes Lacoste sont remplacés par ceux en Kway. Face aux contestations des quartiers populaires, les gouvernements mettent toujours en avant la figure du petit délinquant décrit en caïd de banlieue uniquement venu pour piller. Pour le mouvement social, c’est la figure du petit-bourgeois traitre à sa classe qui « joue au révolutionnaire avant de reprendre la boite papa». Réduire les émeutiers du quartier ou ceux des manifs à ces seules figures symboliques caricaturales cela permet de déployer un arsenal policier et judicaire hors norme qui vient rassurer les bons français heureux de pouvoir se défouler sur le prolo en mode lascar ou le petit bourgeois d’humeur révolutionnaire. Cette mise en scène médiatique de ces deux typologies de « casseurs » servie tous les soirs d’émeute au 20h permet de répondre de manière patente et latente à la question cachée : pourquoi au quartier ou dans les centres villes des hommes et de femmes affrontent la police ?

Avec ces deux figures symboliques du petit bourge et du délinquant la réponse est simple : le lascar en Lacoste c’est pour la razzia, le petit bourgeois c’est pour que jeunesse se passe. C’est dans leur nature pour ainsi dire.

Le second effet et pas des moindres de cette mise en scène médiatique c’est qu’elle permet ainsi d’empêcher toute jonction entre des populations qui vivent dans des espaces séparés mais qui luttent contre un adversaire commun : l’État.

Dans les classes moyennes et la petite bourgeoisie qui ressent de la sympathie franche pour le petit lascar de quartier en mode pillard ? Qui au quartier éprouve une sympathie pour le petit bourgeois dont on nous présente la révolte comme factice?

Ces deux figures symboliques sont utilisées pour servir de repoussoir aux uns et autres pour contrarier une rencontre qui pourrait pourtant dynamiter l’oligarchie qui nous dirige.

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Pourtant il n’y rien de neuf si des « petits bourgeois » risquent leur liberté et leur santé physique pour monter au charbon face aux chiens de garde de l’état et de la bourgeoisie. Voilà ce qu’écrivaient Marx et Engels dans le manifeste en 1848:

« Enfin, au moment où la lutte des classes approche de l’heure décisive, le processus de décomposition de la classe dominante, de la vieille société tout entière, prend un caractère si violent et si âpre qu’une petite fraction de la classe dominante se détache de celle-ci et se rallie à la classe révolutionnaire, à la classe qui porte en elle l’avenir. De même que, jadis, une partie de la noblesse passa à la bourgeoisie, de nos jours une partie de la bourgeoisie passe au prolétariat, et, notamment, cette partie des idéologues bourgeois qui se sont haussés jusqu’à la compréhension théorique de l’ensemble du mouvement historique. »

Rien de neuf non plus si les soirs d’émeutes dans les quartiers populaire des lumpen-prolétaires, fussent-il en mode lascar, descendent dans la rue pour se joindre aux émeutiers. Huey Newton du Black Panther Party expliquait que «De plus en plus de prolétaires vont devenir « inemployables » ; ils deviendront lumpen, jusqu’à ce qu’ils deviennent la classe populaire, la classe révolutionnaire ».

Du traitement pénal et policier jusqu’ a la construction de figure repoussoir, la répression actuelle des mouvements sociaux est un copier collé de la gestion sécuritaire qui s’exerce au quartier.

La mémoire des luttes des quartiers populaires est là pour nous le rappeler. Une histoire parmi d’autre des mobilisations des quartiers populaires illustre parfaitement ces parallèles. A Dammarie-lès-Lys, les techniques policières, judiciaires et médiatiques qui ont été utilisées pour briser un mouvement de contestation étaient en tout point identique à celles utilisées aujourd’hui contre la contestation sociale. C’était il y a presque quinze ans.

Dammarie1

A Dammarie, le 21 mai 2002, Xavier Dem pris d’un acte de démence tire avec une carabine à plombs sur deux policiers en blessant un légèrement au coude. Le second policier riposte et tue Xavier d’une balle dans la tête. Deux jours plus tard Mohamed Berrichi meurt lors d’une course poursuite en moto avec la police. Mohamed Berrichi était le frère du Président de l’association Bouge qui Bouge, qui fut créé suite à l’assassinat d’Abedelkader Bouziane (16 ans) par un policier de la BAC en 1997. Son décès deux jours après la mort de Xavier Dem lors d’une course poursuite avec la police associée au climat national de ce mois de mai 2002 qui voit le FN au second tour des élections présidentielles crée un électrochoc dans le quartier.

Le 27 mai 2002 une manifestation contre les violences policières rassemble 800 personnes. Pour la première fois dans un quartier de banlieue une manifestation est encadrée par un imposant service d’ordre composé de militants de quartier. C’est une démonstration de force pacifique sans précèdent dans un quartier populaire français. L’arrêt devant le commissariat de Dammarie reste dans les annales de beaucoup de militants comme un fait marquant. Dans la nuit, sur la façade de la barre du Bas-Moulin, les banderoles de la manifestation sont accrochées qui rappellent la mémoire d’Abdelkader, Xavier et Mohamed.

Afin de trouver des personnes « responsables » avec qui discuter dans ce quartier des représentants religieux de la mosquée de Paris et le recteur de la mosquée d’Évry se rendent le 28 mai sur demande des autorités de l’État à Dammarie afin d’y porter leurs condoléances « ainsi que celles de la Mairie et du Préfet » au père de Mohamed Berrichi.

Soutenu par le MIB le père de Mohamed rappelle alors que le deuil est une affaire familiale. Le MIB ajoute que la mobilisation est politique et non religieuse et pointe du doigt l’hypocrisie de l’État qui n’a pas sollicité les autorités catholiques auprès de la famille de Xavier Dem. Les messagers religieux de l’État sont renvoyés à leurs ouailles.

Vexé, Khalil Merroun, recteur de la mosquée d’Évry, déclare que « la famille est prise en otage par des gens qui refusent le dialogue ». On croirait lire la prose d’un bureaucrate syndical sommé de condamner les violences de manifestants décidés à ne pas se laisser gazer et tabasser par la police. On retrouve ici une constante de l’État qui veut utiliser les corps intermédiaires religieux ou syndicaux pour faire le tri entre bons et méchants citoyens.

La mobilisation autour de la mort de Mohamed Berrichi donne lieu à de nombreux coup de pressions policiers avec l’instrumentalisation des outrages et des instruments répressifs judiciaires. Technique que l’on retrouve aujourd’hui par exemple avec la mise en examen sous des motifs qui relèvent de la lutte contre le terrorisme (association de malfaiteur, bande organisée …) de jeunes manifestants descendus dans le métro à Rennes pour organiser une opération métro gratuit.

Déjà en 2002, la « haine anti-flic » est mise en scène pour justifier la répression et faire basculer l’opinion dans le camp de la répression. En juin 2002, le Syndicat national des policiers en tenue (SNPT) demandera la suppression des banderoles qui sont pour lui des « appels à la haine anti-flics ». Le syndicat appelle à une manifestation le 2 juillet 2002 devant la préfecture de Seine-et-Marne. La place de la République et la manif d’amour pour la police en mode quartier populaire en avant-première de 14 ans.

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A Dammarie, le RAID est déployé dans le quartier pendant la perquisition du local de l’association Bouge qui Bouge, un peu comme pour l’évacuation à Rennes de la maison du peuple…

Dans chacune des luttes des quartiers populaires on retrouve des instruments et des techniques de répression qui sont aujourd’hui utilisées contre le mouvement social. Nous avons assisté ces dernières années à l’émergence d’un armement de plus en plus violent d’abord destiné et testés dans les quartiers populaires, ils sont aujourd’hui offerts à tout le monde.
A la répression physique s’ajoute aussi celle sur le plan judiciaire. Les frères Kamara de Villiers-le-Bel ont été les premières victimes de cette vengeance d’état qui peut faire condamner des gens sur la base de « note blanche » et de témoignages anonymes. A Paris, après l’incendie d’une voiture de police, 4 personnes ont été mise en cause pour «tentative d’homicide sur une personne dépositaire de l’autorité publique» avec comme unique preuve le témoignage anonyme d’un policier infiltré. Comme pour les frères Kamara les preuves reposent uniquement sur des éléments construits par les services de police ou de renseignements qui ne peuvent être soumis à un débat contradictoire. La généralisation de ces méthodes est un pas de plus vers un état policier. Avec ces méthodes, les services de police peuvent fabriquer des affaires de toutes pièces comme en témoigne l’affaire du quai de Valmy. Quelques heures après l’incendie de voiture, on arrête 4 militants connus, désignés par la DGSI. «Leur implication dans l’incendie du véhicule n’est pas établie» avouent pourtant les enquêteurs. Comme dans l’affaire des frères Kamara tout le dispositif s’articule entre les services de police et le storytelling gouvernemental pour justifier ces incarcérations.

Ces similitudes entre répression au quartier et répression des mouvements sociaux créent les conditions d‘une convergence des luttes. Ceux qui luttent en première ligne dans nos quartiers comme ceux qui dans les mouvements sociaux sont confrontés aux violences policières en ont bien conscience. Ils savent que l’heure n’est plus à savoir qui faisait quoi en 2005 mais bien à travailler pour construire des passerelles et des terrains de luttes communs entre tous ceux et celles qui ne veulent pas se résoudre à survivre dans ce monde inégalitaire et violent.

Seuls ceux qui luttent savent

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  1. Nous sommes leur ennemi commun | Lanterne bandoulière - 29 Mai 2016

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