La course aux matières premières fait rage. Elle dévore le continent africain. Aux millions de morts du Kivu, se rajoutent aujourd’hui ceux de Centrafrique.
Afin d’expliquer ces lointains massacres, on nous présente dans les médias d’inévitables guerres tribales. Explication confortable pour justifier l’intervention militaire française comme un geste humanitaire, le prélèvement de matières premières n’étant qu’un pourboire pour le gentil pacificateur.
Cette manière de décrire les tensions économiques et sociales qui secouent le continent africain ne font que révéler la manière dont il est perçu depuis la France. C’est une terre de conquête, d’opportunités économiques, et cela parce qu’elle est peuplée de gens dont les dominants français pensent qu’ils sont d’éternels mineurs.
Du lapsus de Kouchner, aux unes des journaux jusqu’à la vision tribaliste de Bernard Lugan, maître à penser des droites radicales en matière d’Histoire africaine, c’est la même rengaine : l’Afrique est en proie à des crises tribales régulières qui nécessitent une tutelle de l’Europe, et qui expliquent sinon justifient sa colonisation.
Ce regard sur l’Afrique en dit long sur ce qu’est l’Europe. Parce que les conflits y ont été permanents durant des siècles. Le terme d’épuration ethnique est devenu familier durant le conflit en ex-Yougoslavie, lorsque la minorité musulmane bosniaque a subit des massacres. Cela a fait oublier que ce n’était pas un fait nouveau en Europe. L’épuration ethnique s’est faite à l’échelle industrielle sous le régime nazi. Cette période caractérisée par la montée en puissance de régimes dont l’idéologie est basée sur la pureté de la race et son lien à une terre, n’est pourtant pas décrite comme une période « tribale ». C’est de la grande histoire, une guerre mondiale.
Lors de l’éclatement de la Yougoslavie, il y a toujours eu une explication politique pour donner un sens à un massacre entre personnes qui ont vécu ensemble durant des dizaines d’années.
Contrairement au Rwanda qui à la même époque versait dans la barbarie tribale, en Yougoslavie les médias et les politiques nous parlaient de conflits politiques, de jeux d’influences entre grandes puissances. Deux poids, deux mesures.
Aujourd’hui c’est un peu la même chose : en Centrafrique c’est le chaos tribal et en Ukraine ce sont deux sphères d’influences économiques, Union Européenne et Russie, qui sont en conflit.
Les préjugés de Nicolas Sarkozy, qui expliquait que l’Homme africain n’est pas rentré dans l’Histoire, sont incrustés dans l’inconscient collectif de la quasi totalité des personnes qui vivent en France, y compris dans la tête de celles et ceux qui prennent le Bled pour une zone arriérée.
Mais si la Centrafrique est en proie à des tensions, c’est uniquement pour des raisons économiques. Idem pour l’Ukraine, ou pour le Mali. Si les conflits sont exacerbés par des questions religieuses ou identitaires, le vrai motif se trouve toujours au niveau des ressources naturelles ou des moyens de production.
On escamote le motif du départ du conflit pour lui donner un caractère identitaire. Lorsque ça se passe en Europe, il y a un effort de ne pas rabaisser totalement les protagonistes au rang de guerriers claniques, car l’Europe se pique d’être une civilisation de philosophes. Quand ça se passe ailleurs, c’est de la sauvagerie.
Alors qu’au départ on présentait le conflit en Centrafrique comme une guerre de religion, il semble que sur le terrain ce soit plus compliqué que cela, et que, dans le chaos et le dénuement, la prédation pure et simple soit devenue un mode de survie.
La presse en fait des tonnes pour nous montrer à quel point les gens qui vivent là-bas sont en proie à la barbarie, jusqu’à notre Président qui déclare lors de ses vœux aux français que l’intervention militaire se justifie en Centrafrique « pour sauver des vies humaines et éviter que des enfants soient découpés en morceaux, comme cela a été le cas. ».
Les internautes émus par autant d’anecdotes dramatiques lâchent des commentaires moralistes et marquent une distance avec les personnes qui vivent là-bas. Se croire différent des autres permet l’indifférence. C’est d’autant plus commode que la guerre en Centrafrique permet à certains de vivre confortablement.
Ce qui se passe en Ukraine depuis quelques temps n’est que de la rigolade par rapport à la pression militaire, à la destruction culturelle que connaît le continent Africain depuis près de 200 ans. Et alors que le procès sur les responsabilités de la France au Rwanda commence tout juste (à presque 20 ans des faits) on peut mesurer à quel point l’épuration « ethnique » est le fruit de colonisation.
Le caractère typiquement africain des guerres « ethniques » est une importation de colons européens : ils y ont eu recours pour établir leur domination. Ils ont utilisé un outil qu’ils connaissaient déjà, puisque l’Europe avait été une zone de conflit. Il suffit d’ouvrir un manuel d’histoire et de tirer au hasard les conflits entre cités grecques, la Guerre des Gaules, la Guerre de cent ans, les croisades, les guerres de religion et au final les deux guerres mondiales : la brutalité et la notion de rivalité entre populations est une constante.
De la même manière que les bandes de mômes des quartiers populaires n’ont rien d’ethniques, les guerres qui déchirent le continent africain n’ont pas de motifs tribaux. Derrière le mot ethnique on dissimule une oppression économique et on affirme une hiérarchie raciale.
9 Réponses to “Tribus gauloises et continent Africain”