Les antisémites de tous bords assimilent l’ensemble des populations juives au courant sioniste, pour créer l’illusion d’une unité d’intérêt justifiant leur obsession idéologique. Pourtant dans l’histoire du XIXe et du XXe siècle, les premiers opposants au sionisme furent des groupes politiques juifs. Le plus connu d’entre eux, le BUND (acronyme correspondant à l’union générale des ouvriers juifs de Russie, de Pologne et de Lituanie) est un parti revendiquant une identité yiddish, en tant que minorité opprimée, et se proclamant antisioniste, internationaliste et socialiste (au sens marxiste). L’histoire du BUND manifeste la diversité des points de vue politiques exprimés par les communautés juives à l’égard du sionisme.
Naissance du BUND : Un parti de masse en lutte.
A la fin du XIXe siècle, l’empire russe englobe les pays baltes, la Pologne, la Biélorussie et l’Ukraine : dans cette vaste région se trouve la zone de résidence [1] où habitent la majorité de la population juive dans une grande misère. Le BUND voit le jour à Vilnius lors de son congrès fondateur du 25 au 27 septembre 1897 qui rassemble des délégués représentent les différents cercles socialistes yiddish. Il s’agit pour le prolétariat juif de se doter d’un parti de lutte contre le capitalisme et contre les discriminations raciales. Dès sa création, le parti est internationaliste, prônant le resserrement des liens avec tous les autres mouvements ouvriers.
Depuis 1895, un grand nombre de grève secoue l’empire tsariste [2]. Le BUND joue en grand rôle organisationnel dans ces grèves notamment en aidant à la structuration de caisses de grève. Les militants bundistes se forment à la lutte des classes sur le terrain et dans les livres, car l’éducation populaire est une des priorités, avec la création de plusieurs bibliothèques. Le devise du BUND : « dans la rue, vers les masses », insiste sur l’absence de distinction entre bourgeoisie juive et non juive. Alors que de nombreuses grèves qu’ils mènent sont victorieuses et violentes, certains patrons non juifs attisent l’antisémitisme chez les ouvriers afin de briser les luttes sociales. Face à cela, les bundistes participent à la création des sections locales socialistes marxistes, afin d’organiser les ouvriers non juifs et de combattre la bourgeoisie et l’antisémitisme.
Mais le BUND se heurte aussi à des oppositions de certains rabbins et de des institutions religieuses, soucieuses de préserver un consensus interne à la communauté, et voyant dans ces luttes sociales une remise en cause de l’ordre établi. Cette opposition se systématise progressivement : un nombre croissant de prolétaires juifs considère la laïcité comme une étape non négociable dans leur processus d’émancipation, tandis que des rabbins créent des organisations anti-bundistes, vouées à l’échec.
Un parti antisioniste.
Le BUND s’affirme très tôt comme antisioniste : ils considèrent l’émigration en Palestine comme une fuite en avant ; le projet sioniste ne pouvant ni régler la question de l’antisémitisme, ni satisfaire le prolétariat juif. A son quatrième congrès, le BUND adopte une position résolument antisioniste : « Le congrès considère le sionisme comme une réaction de la classe bourgeoise contre l’antisémitisme et la situation anormale du peuple juif ». À la suite de ce congrès, le BUND refuse l’incorporation de tout élément sioniste dans ses organisations : entretenir l’idée de la création d’un état juif en Palestine ne fait que détourner le prolétariat du vrai combat, la lutte des classes.
Le BUND se démarque du reste de la communauté juive, en considérant l’hébreu comme une langue morte et en rompant avec les traditions religieuses. Ces militants politiques considérent le yiddishland comme une territoire à part et une entité culturelle autonome : leur terre c’est leur lieu de naissance [3]. Cette position leur vaut aussi l’inimité des communistes qui considère ses revendications d’autonomie culturelle comme une déviance nationaliste. Trop juifs pour les communistes et pas assez pour les sionistes, le BUND se bat sur un double front politique et culturel.
L’opposition du BUND aux sionistes est constante. Même si certains de ses membres quitte le parti pour rejoindre les organisations sionistes marxistes. En 1929, des sionistes protestent contre l’attaque de la communauté juive de Palestine par des Palestiniens. Le BUND refuse de se joindre à ces protestations argumentant que la responsabilité de ses attaques incombe aux juifs émigrés là-bas autant qu’à la politique impérialiste anglaise. Les tensions deviennent extrêmement violentes entre la droite sioniste et les bundistes : Vladimir Jabotinsky, créateur du BETAR et antisocialiste auto-proclamé, définit le BUND comme « le fossoyeur du judaïsme » ; pour les bundistes, il devient alors « führer Mussolini ».
Un parti d’autodéfense et de combat.
Dès sa création le BUND eu à combattre physiquement pour sa survie et celle de ses membres, lors des grèves, mais aussi et surtout contre les attaques antisémites ciblant les quartiers juifs. Face aux pogroms, les bundistes créent des sections d’autodéfense, les boevie otriady, recrutant dans le prolétariat et s’entraînent aux tactiques de combats urbains. En 1903, à Gomel (au sud de la Biélorussie actuelle) et à Dvinsk (Lettonie) les groupes d’autodéfense mettent en déroute les antisémites.
Le BUND prit très tôt la mesure du danger fasciste, comprenant que le combat contre le racisme et le fascisme ne pouvait se cantonner à la défense des ghettos. À partir de 1936, de nombreux membres rejoignent les brigades internationales en à l’occasion de la guerre d’Espagne : ils sont regroupés au sein de la compagnie juive, Naftali Botwin. Il s’agit bien sûr de combattre l’ennemi fasciste là où il se trouve, mais aussi de prouver par leur héroïsme que les clichés antisémites (juifs victimes et intellectuels) sont faux.
Lorsque la volonté des nazis d’exterminer les juifs se fit jour dans les ghettos de l’Est de l’Europe, les combattant(-e)s du BUND décident de lutter et de mourir les armes à la main. Ils jouent un rôle majeur dans de l’insurrection du ghetto de Varsovie, au printemps 1943. Marek Edelman, un des commandants de la révolte, est un des leaders du BUND, et organise une résistance acharnée. Parmi les survivants, certains sont déportés, d’autres rejoignent les partisans.
À la fin de la guerre, certains bundistes rejoignent Israël, sans pour autant reconnaître cet état mais « las des défaites » ; d’autres restent en Europe en Pologne, ou émigrent. En détruisant le prolétariat yiddish, les nazis détruisirent également le BUND, émanation de la rue et du peuple.
Résonnance actuelle de l’expérience bundistes.
L’expérience du BUND remet en cause l’argument majeur des sionistes consistant à présenter la création d’un état d’Israël fort comme la logique finale de la longue histoire du peuple juif et comme la seule réponse à un antisémitisme virulent. L’histoire des bundistes doit être rappelée afin de se souvenir que des hommes et des femmes ont portés un autre idéal, non pas irréaliste mais concret et implanté dans les populations. De ce point de vue, le sionisme ne se pose plus comme l’aboutissement d’un mouvement historique immuable mais bien comme une idéologie ayant mieux manœuvrée que d’autres durant des périodes troubles.
Cette histoire vient aussi mettre en échec les principaux arguments antisémites malheureusement tant à la mode en ce moment. Aucune population ne représente un bloc culturel et politique, n’en déplaisent aux antisémites mais les juifs aux aussi ont eu une histoire politique riche et complexe. Ces échos historiques viennent rappeler qu’aujourd’hui comme hier, que tous les juifs ne sont pas des bourgeois et tous les juifs ne sont pas sionistes.
[1] Zones restreintes – essentiellement urbaines – à l’intérieur de la Russie impériale où les Juifs étaient obligés de résider.
[2] Entre 1895 et 1904 2276 grèves éclatent.
[3] « Les palmiers et les vignobles de Palestine me sont étrangers », Vladimir Medem.
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