Au Quartier on vote La Classe

28 Avr

Les résultats du 1er tour ont généré comme à leur habitude de multiples analyses et sont devenus l’enjeu de discussions politiques et stratégiques. Pour celles et ceux qui vivent ou travaillent dans les quartiers populaires, trois fait marquants ressortent de ce vote: le score du Front National, l’élimination du PS et de la droite par Macron et le score de Jean Luc-Mélenchon.

Le premier point qu’il ne faut pas négliger est l’importance du vote front national. Le FN totalise 7,64 millions de voix, alors qu’il en avait réuni 6,42 millions en 2012. Dès le premier tour, Marine Le Pen bat le score de son père au second tour de l’élection présidentielle de 2002, où Jean-Marie Le Pen avait récolté 5,5 millions de suffrages. Ce qui devrait appeler à la modestie tous celles et ceux qui brandissent le front républicain comme rempart au FN. Le FN  – qui n’est pas aussi haut que nous l’avait annoncé les sondages – bat cependant son record de voix des régionales de décembre 2015 (6,82 millions de voix). En clair, cette séquence n’est pas un frein à sa montée électorale. Il faut être idiot pour ne pas comprendre que si l’on continue sur ce chemin politique où les gouvernements qui se succèdent conduisent les uns derrière les autres les mêmes politiques capitalistes et xénophobes, l’arrivée du FN au pouvoir par les urnes n’est qu’une question de temps.

Ce constat est à corréler avec le second fait de cette élection : le vote Macron. Loin d’être hégémonique dans les quartiers populaires il a cependant marqué lui aussi cette élection. Le vote Macron est un privilège de gens qui vont bien ou qui rêvent de faire partie des heureux gagnants de la mondialisation capitaliste. Dans les classes populaires, le vote Macron correspond à une volonté de s’extraire de sa classe d’origine. Son programme, ses discours apparaissent comme des solutions à portée de main pour ceux et celles qui sont attirés par la réussite individuelle. Les échecs du modèle Uber et les guerres entre taximen et Ubermen – qui préfigurent pourtant ce que sera la France de Macron – n’ont rien changé à cette espérance de ceux qui croient que pour s’en sortir il suffit de le vouloir et d’être plus malin que les autres. Dans les classes populaires il y a toujours eu une fraction des nôtres qui votent à droite. Pendant longtemps le racisme structurel de la droite française a empêché de nombreux acteurs racisés des classes populaires de rouler ouvertement et sans risque pour la droite et ses valeurs de réussites individuelles. Le vote Macron permet aux racisés de cette fraction des classes populaires de voter pour un candidat libéral, donc de droite, mais sans honte. Face aux LR et a l’UDI, Macron a l’avantage d’un discours d’ouverture sur les populations issues de l’immigration, axé sur la réussite individuelle. Discours qui a cependant vite trouvé ses limites face au cas concret de Mohamed Saou mais qui n’a pas découragé des racisés musulmans soucieux de s’enrichir et de réussir dans ce bas monde au dépend des 9/10èmes de l’humanité qui crèvent des politiques capitalistes impérialistes.

Le second tour des élections se jouera donc entre ces deux candidats qui, a eux seuls, résument l’articulation punitive classe/race pour les quartiers populaires.

 

La question du second tour entre ces deux candidats devient des lors un point de friction entre danger de classe et danger de race dans lequel nombre de discussions s’embourbent.

Il est pourtant aisé de reconnaître que les classes populaires racisées ne sont pas dans la même position – objective – que leurs homologues « blancs » face à Le Pen. On ne peut faire abstraction du différentiel de coût politique pour les racisés si ils devaient prendre le risque d’une Le Pen présidente pour ne pas cautionner les politiques libérales de macron et un front républicain hypocrite qui fournissent tous deux du carburant au FN. Nul de peut contester que grâce, entre autre, à cette merveilleuse tactique électorale, le FN a engrangé plus de 2 millions de voix entre 2002 et 2017. Chacun peut en convenir et cela devrait être la base de toutes discussions pour savoir que faire ?

L’élection de Macron ne favorisera pas l’égalité sociale et raciale et dès lors fournira du carburant au FN. L’élection de Macron, au mieux est donc un sursis pour les classes populaires blanches et racisées condamnées à l’exploitation ou à la mort par le système capitaliste et raciste. Dans ce couloir de la mort qu’est le système, et aussi improbable soit l’élection de Marine Le Pen, sa présence au second tour est un pas de plus dans ce couloir, et chacun peut comprendre que certains ne refuseront pas un sursis. Cependant, la logique et la cohérence voudraient que ce sursis soit utilisé pour s’échapper du couloir de la mort. Et c’est là que le bas blesse car nombreux sont ceux qui invoquent le risque de l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen mais qui n’ont pas envie de nous voir quitter ce couloir de la mort. L’histoire nous enseigne même qu’au sein des racisés pourtant premières cibles du FN, le sursis de 2002 n’a pas été mis a profit pour s’échapper de ce couloir de la mort. Bien au contraire, nombreux ont été les racisés à cantiner tranquillement et ont été encore plus nombreux ceux a être indiffèrent quand ils n’ont pas des fois méprisé toute les tentatives de ceux qui voulaient sortir de ce couloir de la mort. Doit-on rappeler toutes les collaborations de racisés avec les politiques de Chirac, Sarkozy et Hollande de 2002 à 2017 ? Ou refaire la genèse de l’échec du FSQP et du rôle que chacun y a joué ? Dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui, chacun comprendra que pour beaucoup d’entre nous c’est insupportable de prendre des leçons de morales de gens qui ont pantouflé dans les arcanes des pouvoirs de gauche et de droite ces quinze dernières années ou qui ont été indifférents quand ils n’ont pas saboté les tentatives pour construire un rapport de force autonome, comme lors du FSQP.

En somme, quel que soit le choix individuel tactique de ce second tour, ce qui importe c’est la cohérence que chacun y mettra au lendemain de son vote. Et il y a des beaux parleurs qui devraient la jouer un peu plus modeste au regard de leur état de service depuis 2002.

Avec ou sans sursis libéral, la prise du pouvoir du FN est une donnée que chacun devrait intégrer au regard des forces en présence pour se préparer sérieusement à comment nous pourrons nous y opposer. En cas de victoire du FN ou d’une recomposition de la droite autour du FN, il faut se souvenir qu’ils ont la capacité de tenir la rue. Ils nous en ont fait la démonstration avec la manif pour tous et ont su lui donner un débouché politique. La manifestation pour tous et la prise de contrôle de « sens commun » sur la campagne des LR traduit l’influence et la capacité de mobilisation de la droite traditionaliste dont les passerelles avec le FN sont nombreuses. Si on ajoute à cela que le FN a de nombreux appuis dans les appareils sécuritaires comme la police et l’armée. L’extrême droite et la droite traditionaliste ont la capacité de mobiliser la rue, les urnes et la « violence légitime » de l’état contre ce que nous incarnons : l’ennemi intérieur composé de « gauchistes » et de racisés. Savoir qui du « gauchiste » ou du racisé prendra le plus cher est un débat de merde. Face à cela, nous n’avons pas grand-chose à mettre en face si ce n’est nos divisions, notre inorganisation et l’inconséquence de nos beaux parleurs.

Il y a cependant un point d’appui que beaucoup occultent dans le résultat de ce premier tour. Si l’abstention est restée la principale expression des électeurs des classes populaires blanches et racisées, pour celles et ceux qui sont allés voter, le vote Mélenchon est celui qui s’est le plus exprimé dans nos grandes cités populaires. De Trappes en passant par Grigny, les quartiers nord de Marseille, le 93, le 94, les DOM … le vote Mélenchon arrive en tête dans de nombreux bureaux de votes populaires. Les scores dans les quartiers populaires et dans les territoires d’outre-mer montrent une chose que beaucoup avaient oublié et nié : le vote de classe existe en France. Les scores de Jean-Luc Mélenchon dans certains quartiers populaires qui dépassent les 40 %, comme son arrivée en tête dans le 93, département le plus pauvre et le plus racisé de la France métropolitaine, n’est pas anodin. Ce n’est pas le signe d’un soutien ou d’une identification à la France Insoumise mais cela correspond à un vote « social » de gauche, en somme un vote de classe. A l’opposé de certains pronostics, par ce vote les quartiers populaires prouvent qu’ils peuvent se mobiliser sur la question sociale en se mobilisant eux même et en choisissant leur outil de lutte. Car c’est aussi l’enseignement de ce vote pour Melenchon : aucune équipe militante de la France Insoumise ou des restes du PCF n’a structuré massivement ce vote dans les quartiers populaires. Il n’y a pas eu une armée d’insoumis faisant du porte à porte dans les quartiers populaires. Pour celles et ceux qui y vivent et y travaillent c’était la même que d’habitude. On a retrouvé dans cette campagne les mêmes équipes militantes avec plus ou moins d’ancrage local, qui tractent au marché ou à la gare à chaque campagne électorale. Rien de plus, et parfois même moins là où dans certains de ses bastions, le PCF n’a pas joué la carte d’un soutien franc a Mélenchon. Ce qui n’a pas empêché Melenchon de faire, y compris dans ces bastions communistes, des scores historiques. Ainsi les résultats sont radicalement différents que d’habitude. Nos quartiers ont mis à la tête de leur suffrage un candidat de « la gauche radicale ». Pour reprendre des termes journalistique consacrés et ridicules: le vote Mélenchon dans nos quartiers, c’est « une auto radicalisation de gauche». Les gens se sont saisis de cet espace politique avec finalement très peu de médiateurs extérieurs.

A ceux qui pensent et affirment que la lutte des classes a disparu et qui en appellent à des mystiques insurrectionnelles qui se font attendre ou à des émeutes sans lendemain politique, à ceux qui pensent que seule la race est déterminante, et suffisante, politiquement dans les quartiers, le vote de celles et ceux qui ont décidé de participer au théâtre électoral est un cinglant retour à la réalité sociale. Les quartiers ne sont pas des déserts politiques ni des terres de missions et les classes populaires savent se saisir d’outils de lutte quand elles pensent que celui-ci peut leur offrir un débouché. Ce que manifestement offrait le bulletin Mélenchon pour nombre d’entre eux. Ce point d’appui reste fragile car l’élection est une forme de lutte qui reste trop souvent une lutte par délégation. On s’en remet à un tribun ou un sauveur suprême à qui reviendra la tâche de nous sauver. On vote et après … Mais c’est un point d’appui pour tous les militants dans les quartiers populaires et c’est surtout la grande leçon politique des quartiers populaires de ce début d’année 2017. Si il y a un fait historique pour les quartiers populaires en ce début d’année 2017, c’est bien la mobilisation électorale pour la gauche et les millions de voix que lui ont apporté les quartiers populaires. Ce vote Mélenchon ne crée pas une hégémonie de la France Insoumise et de la stratégie de Mélenchon dans les quartiers populaires. Cela se verra très rapidement aux législatives et encore plus sûrement aux prochaine municipales. Dans sa stratégie de constituer un «peuple» contre les élites, Mélenchon a forgé un discours qui a rencontré une partie des préoccupations sociales des classes populaires mais en aucun cas une adhésion totale et bon nombre de questions restent plus que conflictuelles (position sur la Syrie, laïcité et islam, national-républicanisme..). Les mesures sociales concrètes dans le programme de Mélenchon et la peur du racisme ont largement provoqué l’adhésion au vote Mélenchon dans nos cités. C’est sur cette articulation classe-race tacite que de nombreux électeurs des quartiers populaires ont mis un bulletin Mélenchon dans les urnes. Et c’est plus largement sur l’articulation classe-race-genre-territoire que nous pourrons construire une réponse à la Nuit qui arrive après le 7 mai.