Le 25 juin 2015 le secteur de la Porte Maillot ressemblait un peu à un de nos quartiers un soir de révolte suite à agression policière. La porte d’entrée sur les beaux quartiers parisiens avait un air de « Seine-Saint-Denis Style!».
On reconnait l’artiste à la signature. Aucun doute, une grosse partie des mecs turbulents Porte maillot sont en fait nos voisins, des gens du quartier. La différence avec un soir d’émeute sur le parking en bas de l’immeuble réside dans le fait que ce n’était pas des 15-20 piges qui étaient à l’œuvre face aux CRS mais des 20-40 ans.
Ce sont des gens parmi nos voisins qui ont acheté il y a une dizaine d’année une licence de Taco pour faire vivre la famille, avec pour certains l’illusion qu’ils allaient devenir riches et « indépendants ». Des self-made men devenus leur propre patron.
Le rêve libéral à la sauce petit entrepreneur de quartier. Une alternative à l’huile de friture et au graillon de viande.
La réalité n’est évidemment pas une « success story » : des heures de conduite pour un revenu de misère. Au fur à mesure de leur expérience de Taco ils découvrent pour beaucoup qu’au bout du compte ils ne sont à peine des « artisans » mais plutôt des « locataires » sur un secteur ou des grands groupes capitalistes se goinfrent (G7, taxi bleu …). On leur fait supporter tous les risques et charges : licences, assurances, voitures, essence, accidents. L’horreur de la sous-traitance.
De quoi regretter le salariat. A tel point que cela génère rancune et aigreur. Un amoncellement de désillusions et de stress qui contribuent à construire la réputation – souvent justifiée – du chauffeur de taxi peu aimable et serviable.
L’écosystème économique des taxis avec ses marges hallucinantes pour le grand Capital grâce au prix des licences, des locations pour esquiver le salariat reste encore perfectible pour qui veut gagner encore plus de millions sur le travail et la sueur des autres.
Comme l’appât du gain reste le moteur du système économique qui gouverne notre société, un nouveau grand groupe arrive sur le marché avec un nouveau « process » pour faire du « cash ».
La multinationale UBER débarque avec un système dont rêvent tous les patrons : pas de salariés.
Cela se traduit concrètement dans le domaine des transports par aucun chauffeur professionnel. Il n’y a plus que des conducteurs corvéables qui roulent au forfait, sans droit, sans salaire, sans horaires. Un retour au 19eme siècle avec le travail à la tâche, à la pièce.
Question anodine : où va-t-on recruter ces nouveaux esclaves modernes ?
Réponse attendue : dans les quartiers populaires, à l’endroit même où il y a quinze ans une génération s’est faite dindonnée avec le rêve du taxi milliardaire.
C’est ainsi que depuis 3-4 ans dans nos quartiers toute une nouvelle génération a investi dans le costard cravate et la berline. Exactement comme une quinzaine d’années auparavant la génération précédente a investi dans le Taxi en caressant le rêve de devenir « son propre patron ».
Les volontaires sont d’autant plus facile à trouver que dans nos quartiers c’est la pénurie d’emploi et que pour ceux qui travaillent les salaires sont misérables et la précarité une règle générale.
Au cœur de nos quartiers ces deux profils se côtoient – parfois au sein d’une même famille – et se retrouvent prisonniers de leur investissement dans les taxis pour les uns et de leur rêve d’Uber et autre VTC pour les autres.
Le cocktail est fatalement détonnant. D’un côté des gens qui trainent leur endettement comme un boulet et qui sont confrontés à la réalité économique et sociale de leur secteur où stress et petits revenus rendent le quotidien difficile et l’avenir incertain.
De l’autre des gens à qui l’on fait miroiter une réussite sociale qui a l’usage sera inexorablement illusoire mais dont la force du rêve permet de se projeter dans un avenir radieux.
D’un côté des gens plombés en chute en libre et à côté d’eux, des gens qui rêvent d’un décollage économique en prenant pour piste d’envol la tête de ceux qui se maintiennent encore péniblement à flot.
Dans ce secteur des transports, la dérégulation (la libéralisation) du marché c’est la guerre des pauvres contre les pauvres. Les bagarres du 25 juin ont été une matérialisation de ce conflit. Ironie de la situation, tout ce petit monde rentre dormir le soir au quartier. Pneus crevés, peinture rayée, dents cassées, embrouilles à épisode.
Le combat entre « Ubermen » et « Taximen » peut ainsi se poursuivre plus sournoisement a l’ombre de nos tours, loin des caméras et du regard horrifié des bourgeois qui sont les seuls grand gagnants de ce système qui permet de s’offrir un chauffeur corvéable à merci pour quelques euros.
Le paradoxe de cette séquence est que les petits entrepreneurs de quartier qui bien souvent ont fait montre d’individualisme, et même parfois ont été méprisants pour le travail salarié, deviennent des « street fighting men » qui défendent le salariat dont eux-mêmes se sont exclus. C’est le résultat de la confrontation à la libéralisation accrue de leur secteur d’activité. Un des nombreux effets pervers de la loi Macron et autres gentillesses du gouvernement Hollande/Valls au patronat.
On pourrait en rire si tout cela ne portait pas en germe la destruction méthodique de toutes les conquêtes des classes populaires pour obtenir des conditions de travail décentes et un salaire qui permet de vivre dignement.
Derrière le combat des « Taximen », c’est finalement cela qui se joue. S’ils perdent, c’est une brèche de plus vers le travail à la tâche.
Les affrontements entre « Ubermen » et « Taximen » nous montrent qu’une fois encore nos quartiers sont les laboratoires des politiques libérales comme ils sont le lieu d’expérimentation des politiques répressives. Si on veut arrêter d’être des cobayes pour le « grand capital» il est impératif de remettre la question sociale à l’agenda de nos luttes.
« Préoccupés par le besoin,
Serait-on tous myopes, incapables de voir loin,
On veut pas le bien, on veut le gain
Quitte à détruire l’intérêt commun
On vit dans l’inconscience des enjeux »
15 Réponses to “Luttes des places ou lutte des classes”