Alain Finkielkraut est entré à l’Académie française. Cela peut paraitre assez anecdotique, mais c’est le couronnement d’une carrière médiatico-«intellectuelle» qui s’est fructueusement construite ces dernières dizaines années, au cours desquelles un beauf inculte de son temps s’est vu élevé au rang de penseur de son époque. La prétention d’Alain Finkielkraut à la philosophie est surtout un instrument de pouvoir qui lui permet de diffuser des considérations dont la faiblesse intellectuelle n’a d’égale que la nocivité politique. Entrer chez les « Immortels », c’est définitivement être mort dans le monde social, et à ce titre c’est peut-être une bonne nouvelle…
Alain Finkielkraut est un philosophe, c’est à dire quelqu’un dont la profession est d’essayer de comprendre et de dire la complexité du monde. C’est pourtant un individu qui depuis des années déverse sa haine et son mépris pour les autres à longueur de tribunes, nombreuses, dans les grands journaux, et à longueur d’émissions, quotidiennes, sur des radios publiques et des télévisions nationales. C’est l’un des acteurs majeurs de l’évolution de la parole délirante de celles et ceux qu’on nous présente comme des « élites intellectuelles », dont l’inanité des jugements est proportionnelle à leur capacité à se couper du réel. Si Alain Finkielkraut est un symptôme, il est aussi un acteur responsable et justiciable de ces propos.
Lui qui vient d’être élu pour défendre la langue française n’a finalement apporté à notre société qu’une posture moralisatrice permanente qui sonne comme autant d’insultes dirigées contre nos quartiers. Alain Finkielkraut est un homme qui juge sans jamais chercher à comprendre, un prescripteur moral qui a largement usé et abusé des avantages que sa position lui fournissait dans la société pour mieux cracher sur les autres.
La France de Finkielkraut
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Parlant de tout, à propos de tout, et surtout de ce dont il n’a aucune réelle connaissance, il fait partie de ces « nouveaux philosophes » (selon leurs propres termes) de la fin des années 1970, version parisianiste du café du commerce, qui s’indignent moralement face à tout ce qui s’agite, évolue, change, et bouge dans notre monde. Face au mouvement et au complexe, Finkielkraut répond discipline et intégration. C’est pourquoi il focalise tout sur la mission de l’école, incapable d’envisager une société où les enfants ne portent pas tous des uniformes, et ne récitent pas tou.te.s d’une seule et même voix le même credo républicain bien appris:
Fervent défenseur de l’ « identité nationale » française et des valeurs qu’il y attache (bien qu’il n’ait jamais réussi à définir ce qu’il entendait par là sinon qu’elle supposait qu’on perde son accent et qu’on s’exprime poliment) cet apôtre de l’Occident sous toutes ces formes est d’abord un impérialiste, partisan contemporain du projet colonial. Son dernier livre sur l’Identité malheureuse témoigne par exemple une nouvelle fois de la vision d’un individu obsédé par un monde en pleine évolution et dont manifestement il ne comprend pas grand chose :
Reste à comprendre ce que Finkielkraut met sous ces “valeurs” et ces “mœurs” supposément partagées par tou.te.s à l’exclusion de ces hordes hostiles qui hantent la plupart de ses interventions et lui donnent des sueurs froides.
Finkielkraut l’essentialiste
“Et je découvre que la forme de laïcité que je tenais pour une valeur universelle est une singularité française. C’est ainsi que, tout d’un coup, l’identité nationale me revient dans la figure […] Dans les années 60 et 70, il y avait certes des luttes, mais la France, sans le savoir, était une nation homogène et le » vivre-ensemble » allait de soi.” (source)
L’une des « valeurs » que Finkielkraut cite de manière récurrente est la laïcité, mais dans une version « falsifiée » malheureusement très répandue. Comment un philosophe peut-il penser que la laïcité française est universelle, et non au contraire un dispositif très spécifique et historiquement susceptible de multiples interprétations contradictoires? C’est le récit de toutes ces contradictions et des complexités historiques que Finkielkraut passe sous silence, en évoquant ad nauseam une crise de la société qu’il « analyse » à partir d’une vision complètement fausse et idéalisée de la France des décennies précédentes. Le portait qu’il dresse de la France contemporaine n’est pas plus juste. Essentialiste notoire, il ne peut pas s’empêcher de tout ramener à des spécificités présentées comme naturelles et figées qui dépendraient d’origines géographiques, ethniques ou religieuses comprises comme « essence » de l’individu.
Depuis son livre La défaite de la pensée (1987) Alain Finkielkraut radote et répète que la société va mal, que la culture, c’est plus ce que c’était. Rétrograde précoce, il s’émeut dès 1999 de « l’Ingratitude », symptôme de notre époque, puis de l’ « imperfection » du présent. Il semble toujours tellement fortement croire en la raison rationalisante occidentale, normalisatrice, qu’il est incapable de voir le réel, et donc de le penser en dehors de ce cadre. Il vit depuis des dizaines d’années dans le fantasme, dans l’illusion d’un monde où ses peurs se réaliseraient pour mieux montrer qu’il a raison de ne pas le comprendre. Les nouveaux philosophes comme Alain Finkielkraut ont tout simplement renoncé à réfléchir pour ne plus déverser que leurs obsessions personnelles et leur fiel dévastateur.
Finkielkraut et les « jeunes de banlieues »
(source)
Il semblerait aussi que les « valeurs » défendues par Finkielkraut s’arrêtent aux portes des quartiers. Il faut se souvenir des inepties et des injures proférées du haut de toute son arrogance au moment des révoltes des quartiers populaires en novembre 2005, n’envisageant ce phénomène qu’à l’aune d’un différentialisme crasse et complètement déconnecté de la réalité. Ainsi a-t-il pu également parler à ce sujet de « pogrom anti-républicain », comme si ces événements étaient la contestation de « valeurs » républicaines elles aussi présentées comme « essentielles », dont ces révoltes montraient au contraire la faillite et l’inexistence. Aussi peu soucieux de précision intellectuelle que d’expérimentation des réalités de terrain, Finkielkraut vit dans un fantasme permanent qu’il a malheureusement tendance à communiquer à travers les nombreuses tribunes qui lui sont offertes :
Omniprésent médiatiquement, il est aussi l’un des « intellectuels » français à s’être exprimé à tort et à travers au sujet de l’équipe de France de football. Contribuant à l’entreprise médiatico-politique qui vise à faire de quelques dizaines de sportifs millionnaires vivant pour beaucoup dans d’autres pays les symboles les plus représentatifs des quartiers, il a décrété que l’identité raciale « black black black » de l’équipe était l’origine de toutes les questions et difficultés rencontrées.
On pourrait encore prolonger la longue liste d’insultes dont le « philosophe » nous a gratifié.e.s et évoquer pêle-mêle sa détestation de la culture hip hop et du rap en général, ses sorties sur les Antilles etc.
Alain Finkielkraut s’exprime comme un enfant qui sortirait pour la toute première fois de sa chambre, incapable d’entendre et de comprendre le monde qui l’entoure, préférant se prostrer et hurler. Finkielkraut n’est pas qu’un individu victime de son aveuglement au point d’en faire une source de revenus, ce n’est pas non plus qu’un idiot utile du pouvoir, c’est surtout l’un des relais les plus redoutables et les plus efficaces du mépris, de l’ignorance et de la haine contre nos quartiers.
On ne meurt qu’une fois, et Finkielkraut vient de passer à la postérité.
« On a saboté la langue de Molière, démasqué le racisme de Voltaire, on a planté la tente, maintenant faudra s’y faire,
les nègres vous emmerdent, comme dirait Aimé Césaire »
16 Réponses to “Alain Finkielkraut : vert de rage”