Tout problème a sa solution, l’après « Charlie » dans les quartiers

13 Jan

Nous marchons sur une ligne de crête de plus en plus étroite. Les attaques du 7 et du 9 janvier 2015 permettent aux dominants de dessiner un monde pour nos quartiers où deux options contraires se font face.

soldat en Centrafrique

Option 1 : l’islam est le problème pour la démocratie et la « civilisation ». C’est l’option portée par tous les racistes et islamophobes plus ou moins assumés.
Option 2 : l’islam est la solution face à un occident décadent. Cette alternative est proposée par les takfiristes et celles et ceux qui pensent que l’islam peut régir ou régénérer tous les pans de la vie sociale.

Un problème ?
Si l’islam est le problème, alors il n’y a pas d’autres solutions que la solution finale pour s’en débarrasser. Aucun.e de celles et ceux d’entre nous qui en occident reconnaissent Mohamed comme Prophète n’abjurera sa foi.
Comme pour les premier.e.s chrétien.ne.s en occident confronté.e.s à la puissance et l’hostilité de la Rome impériale, les persécutions renforcent les croyances et contraignent les persécuté.e.s à s’organiser d’avantage en communauté active. Celles et ceux qui veulent moins d’islam devraient s’en rendre compte. Leur stratégie serait beaucoup plus efficace.
Combien y avait-il d’écoles musulmanes en France avant les lois d’exclusion des jeunes filles voilées ? Zéro. Dix ans après la loi de 2004, on en compte une cinquantaine en France.
Que ces « intégrationnistes » de tous bords nous laissent donc tranquilles plutôt que de traquer dans n’importe lequel de nos gestes du quotidien la trace d’un logiciel djihadiste qui ferait de tout.e musulman.e un être suspect sur le sol européen.

Que veulent les islamophobes ? Que toutes celles et ceux qui ont la foi s’en aillent ? Si nous ne voulons pas partir, si d’autres ne veulent pas que leurs proches musulmans quittent la France que peuvent-ils faire ? Ils vont rouvrir les arènes et nous donner tous à manger aux lions ?
Que les choses soient bien claires : nous n’avons pas de vocation de martyrs, on ne se laissera pas tuer en récitant des cantiques ou des sourates.

Une solution ?
Face a la sentence « l’islam est le problème », on trouve le pendant « l’islam est la solution ».
Porté par des courants divers et opposés, il existe une volonté de traduire en politique et de mettre au centre de la vie de la cité le fait religieux. Ce n’est évidemment pas une spécificité de l’islam.
L’islam peut fonctionner comme vecteur dans les luttes de libération nationale : ce fut le cas par le passé en Algérie lors de la guerre d’indépendance, notamment, et cela se démontre aujourd’hui encore en Palestine, par exemple.
Mais l’islam peut aussi être un vecteur de maintien et de préservation de l’impérialisme américain et des inégalités économiques : on le voit en Turquie avec l’AKP d’Erdogan, avec le Pakistan des généraux et surtout avec les Pétromonarchies du Golfe.

Dans les quartiers populaires du territoire français, le quotidien c’est la pauvreté et la misère, les ghettos sociaux, l’économie parallèle ou la prison, les voies de garages à l’école, l’échec scolaire, le chômage sans perspective d’avenir, et, par-dessus tout, l’ethnicisation.
Cette réalité affecte la perception et la fabrication de l’islam dans nos quartiers. Réciter la Chahada dans nos quartiers populaires n’adoucit pas nécessairement la vie.
Elle peut même la rendre plus difficile au regard des valeurs que porte l’islam.
Dur d’être un bon musulman quand dans certains cas la survie dans le quartier passe par l’économie illicite et la prédation sur son frère en humanité.
Dur de marcher dans les pas d’un prophète miséricordieux quand on ne pense qu’à soi pour s’en sortir.
Dur d’être un frère sincère quand on est incapable de solidarité et d’empathie.

ze pequeno

L’islam permet à nombre d’entre nous de s’élever en humanité en devenant plus attentif aux autres, plus solidaires dans un univers concurrentiel où ne semble compter que le chacun pour soi, la conscience d’un monde sans conscience, comme disait l’autre.
L’islam peut permettre de gagner en dignité par un investissement concret au service de la communauté (soutien scolaire, animation socio-éducative, maraude pour venir en aide aux plus démuni.e.s…).
Nous voyons tous les jours dans le quartier des croyant.e.s qui s’investissent pour les autres. Nous voyons aussi des non-croyant.e.s s’investir avec le même engagement et mener ensemble des combats pour la justice et la dignité.
Mais on peut aussi voir des hypocrites utiliser les symboles de fraternité de l’islam pour se construire une image d’eux-mêmes différente de celle qu’ils produisent au quotidien.
Combien de fois n’avons nous pas vu des frangins et des sœurs parler des valeurs de l’islam et agir au quotidien à l’inverse de ce dont ils se revendiquent ?

Se proclamer musulman.e ne suffit pas à faire de soi une personne juste et bonne.
Ce sont nos actes qui comptent, le chemin que nous suivons et traçons.

OMAR

Proclamer que l’islam est la solution tout au long de l’année comme les tak-taks dans nos quartiers et ne rien faire pour améliorer le quotidien des gens qui vivent autour d’eux, se référer constamment à la suprématie de la norme religieuse, nier les multiples interprétations présentes en islam et être absent de tout ce qui fait la vie commune dans nos quartiers c’est se payer de mots, c’est rêver d’un monde qui n’existe pas et n’existera jamais.
Ce n’est pas pour rien que dans ce contexte les tak-taks prennent la main sur les plus à la dérive et en rupture d’entre nous. Avec l’idéologie takfiriste, ils peuvent s’inventer un islam qu’ils opposent à « l’occident ». Ils n’ont ainsi pas besoin de s’insérer dans les communautés humaines locales (mosquées de quartier, association). Cerise sur le gâteau, il n’y a pas besoin d’être un bon musulman pour être un tak-tak. Le takfirisme autorise le vice lorsqu’il « sert » à défendre la religion. On peut donc continuer à être une crapule, un dealer, un asocial, un prédateur, un assassin dans et hors du quartier pourvu que l’on mène le jihad en scred.
Dès lors, la passion pour un jihad mondial qui met en scène les enfants palestiniens, syriens ou irakiens, victimes réelles des politiques impériales occidentales et de leurs relais locaux, permet d’oublier la misère du quartier juste là, en bas de chez soi, contre laquelle on ne fait rien ou, pire, que les plus tordu.e.s entretiennent par des comportements de prédation.
Il n’est donc pas étonnant de retrouver souvent les plus « casses-couilles » et les plus perdu.e.s du quartier dans ces logiques mortifères. Le takfirisme permet de se racheter à moindre frais. « J’ai vengé le Prophète », clamait l’un des tueurs de Charlie Hebdo. Pendant ce temps, au quartier, on continue à tenter de ne pas couler malgré les politiques d’austérité sociale et le racisme des gouvernements capitalistes.
Merci frérot, on n’est jamais trahi que par les siens.

C’est là le paradoxe du slogan « l’islam est la solution » : il permet de ne s’intéresser à aucune des luttes concrètes du quartier (violences policières, logement, éducation, travail) pour se projeter dans un monde imaginaire, manichéen et violent.
Ces deux visions de l’islam « problème » ou « solution » dans laquelle on veut nous enfermer permettent de désarmer et de dévoyer toute opposition à un système qui génère inégalités raciales et sociales en occident.

Les dernières tueries des tak-taks en France en sont une preuve. Faites au nom de l’islam, elles ont laissé sur le carreau entre autres des flics et des militaires musulmans.
Ainsi, il y a des musulman.e.s des deux cotés de la barrière de ce fumeux « conflit de civilisation ». C’est à n’y rien comprendre : il y a des musulman.e.s du coté des « méchants » et du coté des « gentils », que l’islam soit perçu comme une solution ou comme un problème.
La réalité est là, dans ce constat, seule issue à un problème qui nous est imposé dans le débat public, concernant la place de l’islam : il y a plus de musulman.e.s qui servent dans les corps d’oppression du système (police, armée, justice) que dans les organisations tak-taks ou salafistes. En somme, plus de musulman.e.s qui défendent et se revendiquent de la République française que de musulman.e.s qui veulent la détruire.

Le jour où la bourgeoisie française raciste aura dégagé tou.te.s les musulman.e.s de France, il va falloir qu’elle recrute du monde pour assurer sa sécurité et ses privilèges de classe.
Si les musulman.e.s sont éjecté.e.s de France, il va falloir recruter massivement pour les régiments et la police nationale sans compter les vigiles pour protéger leurs supermarchés.
L’islam n’est ni le problème, ni la solution.
La solution n’est pas nouvelle : justice sociale et économique, dignité.

Black-Panthers-Party-People

Dans les quartiers, l’islam fait partie de la culture de nombreuses familles et permet a nombre des nôtres d’organiser leur vie sur des valeurs de dignité et de solidarité. C’est une toile de fond intime et collective sur laquelle vient se rajouter des discriminations réelles et violentes qui sont le fruit du racisme et du mépris de l’Occident pour les peuples qu’il a longtemps dominé. Dans cette machine à broyer ou tout se mêle : classe, race, genre et territoire, les questions et les réponses sur l’islam solution ou problème occultent impérialisme, néocolonialisme, conflits de classe, domination raciale… qui partout dans le monde sèment la mort et la misère.
Ce qui va déterminer la sortie de cette situation dramatique c’est le chemin que l’on va emprunter collectivement. Là, où il y a une volonté, il y a un chemin…

Salam-Alikoum

13 Réponses to “Tout problème a sa solution, l’après « Charlie » dans les quartiers”

Trackbacks/Pingbacks

  1. C comme Complot et Charlie | quartierslibres - 16 janvier 2015

    […] La version officielle et la retranscription à l’arrache des événements a permis à des gens de profiter de la confusion et de mettre en place des récits critiques de la version officielle. Le drame et la stigmatisation des habitants des quartiers poussent bon nombre des nôtres à trouver dans ces multiples versions des faits des récits qui dédouanent et déresponsabilisent de tout lien avec les attaques. Comme si les frères Kouachi n’étaient pas des nôtres. Ils sont, comme nous, des produits des ghettos et du mépris républicains. […]

  2. Quand Manuel Valls reprend nos mots, c’est pour cadenasser la contestation | quartierslibres - 21 janvier 2015

    […] terrasser des forces militantes dont la disparition a permis l’émergence et la diffusion de courants nihilistes. Merci donc à Manuel Valls de mettre des mots « justes et forts » sur notre réalité […]

  3. Ça s’appelle un milliardaire | quartierslibres - 7 avril 2015

    […] désarmés pour lutter contre l’islamophobie actuelle. Ils sont désarmés car ils utilisent les mêmes logiques d’essentialisation qu’ils subissent. Ils pensent avec les mots du maîtres et sont aliénés par la bourgeoisie. […]

  4. Une révolte qui échoue, c’est 20 ans de répression | Quartiers libres - 27 octobre 2015

    […] difficilement. Une bonne partie des militants est polarisée sur l’aspect culturel des luttes : on est en plein reflux identitaire. Le vocabulaire et les mots d’ordre des classes dominantes sont intégrés et empêchent de […]

  5. On serre les dents, on serre les rangs, on tient la ligne | Quartiers libres - 14 novembre 2015

    […] Après le carnage, le numéro de cirque des idiots, des racistes et des paumés est lancé. En fonction du degré de saloperie ou de perdition des uns et des autres, chacun va apporter ses condoléances plus ou moins sincères pour les victimes, saluer le courage des forces de l’ordre, puis en fonction du degré de racisme et d’autoritarisme sommer les musulmans de s’excuser et réclamer un durcissement des lois. Puis viendra le temps de la réaction des puissants pour maintenir leur ordre social violent. […]

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