Aller voir Kémi Séba faire un monologue sur scène après avoir poireauté plus d’une heure dans le théâtre de la Main d’Or relève du bolossage intellectuel, c’est se tourner vers une personne dont on espère qu’elle est puissante parce qu’elle parle mal et avec véhémence. Quand on se targue d’être une personne engagée et militante, c’est un peu embarrassant. C’est même un aveu de faiblesse involontaire.
Subir les élucubrations d’un type qui a fini comme intervenant dans l’équivalent de « C’est mon choix » au Sénégal après avoir fait toutes les conversions religieuses et politiques possibles – et dont le début de carrière a reposé sur une imitation du doublage en français de Denzel Washington dans « Malcolm X » de Spike Lee – c’est être prêt à avaler n’importe quelle fadaise du moment qu’on fait partie de la cour d’un prétendu leader.
Certains nuanceront en disant que Kémi Séba est un clown à sa manière, tout comme Dieudonné. Le problème est qu’il est difficile de faire sérieusement de la politique avec des clowns, à plus forte raison quand ceux-ci sont aussi et surtout là pour faire des affaires.
Le sens des affaires et de la communication de ces comiques est sans doute leur qualité première. Ils savent bien faire parler d’eux, soutenus en cela par un gouvernement qui nous les met en scène à grand renfort de répression (plutôt molle dans les faits mais très fortement médiatisée). L’arrestation de Kemi Seba dimanche 14 septembre 2014 à Paris montre clairement qu’un pouvoir faible n’a d’autre option que de se désigner des adversaires de piètre niveau. Cela fait du spectacle et occulte les vrais problèmes.
C’est sans doute aussi pour cela que des gens se déplacent pour les voir. Apparaitre auprès d’eux, c’est l’occasion de se faire remarquer, bien plus sûrement qu’en militant tous les jours pour changer réellement les rapports de domination là où on vit et là où on travaille.
Ceux qui s’affichent avec Séba, Dieudonné et Soral, qui chacun à leur mesure nous vendent des alliances avec les tenants de l’impérialisme et du racisme français, semblent oublier un peu vite que, lorsque « les frères patriotes blancs » arriveront au pouvoir, les noirs et les arabes seront les premiers à trinquer.
Les clowns du militantisme, eux, ne semblent jamais rater une occasion de faire appel à la générosité de leur public. Ainsi, au plus fort de la mobilisation pour Gaza, plutôt que de manifester en défiant Manuel Valls dans la rue, les amateurs de clowneries étaient invités à payer pour assister à une conférence.
Nos comiques s’enrichissent ainsi tranquillement, en prétendant porter un projet politique alternatif. En réalité, changer le monde implique de proposer de réelles options politiques et économiques (bien au-delà de la quenelle ou des diatribes, qui n’ont aucune résonance dans la vie économique et sociale des populations). Bâtir une économie alternative, ce n’est pas garder 650 000 euros en fraiche sous son matelas, faire bosser des gens au black et frauder fiscalement. La carotte n’est pas une alternative politique : c’est précisément l’un des fondements du système économique dans lequel nous vivons.
Lorsque cette joyeuse clique tente d’imiter le Black Panther Party, en en caricaturant les logos et les attitudes, elle oublie que le BPP proposait un plan et des méthodes pour changer les rapports sociaux. Le programme en 10 points du BPP, développait une logique de confrontation réelle avec le pouvoir, s’appuyant sur des pratiques révolutionnaires.
A toutes les « panthers » autoproclamées (new, arabian et on ne sait quoi d’autre) : arrêtez donc de salir l’histoire du BPP avec vos palabres sur les juifs au nez crochu qui contrôlent le monde en secret ; stoppez vos délires d’oligarchie et de mondialisme qui vous conduisent à nouer des alliances avec les tenants du racisme et de l’impérialisme français. Si vous voulez lutter contre les dominations sociales et raciales, plutôt que de croire aux balivernes de quelques comiques troupiers, appliquez donc directement le programme des Panthers.
S’inscrire dans une véritable logique militante, comme le faisait le BPP, c’est se confronter aux tenants du pouvoir sur tous les terrains, ce qui revient à être un révolutionnaire marxiste. Les Panthers, Fanon, Malcolm X, Cabral, Sankara, Lumumba, Nyobe, Cesaire et la quasi-totalité des leaders dont la « dissidence » en carton du Net se charge aujourd’hui de vendre les t-shirts étaient des révolutionnaires marxistes.
De nos jours, c’est être inconséquent et incohérent politiquement que de porter des t-shirts à la gloire de Sankara tout en posant aux côtés de Kémi Séba, Dieudonné ou Soral. C’est être incohérent et inconséquent politiquement que de venir, le même jour, écouter Kémi Séba à la Main d’Or et chanter à la fête de l’humanité.
Que l’on s’appelle Medine et que l’on vende des disques ou que l’on soit un illustre inconnu, ces fautes politiques ont des conséquences dont il faudra un jour payer le prix. En 2017, quand les « frères patriotes blancs » seront aux portes du pouvoir, nous saurons nous souvenirs de ceux qui ont contribué à les y mener, par bêtise, par ignorance, par jalousie, par opportunisme ou simplement par racisme.
6 Réponses to “On a les maîtres à penser que l’on mérite”