Made in America : l’oncle d’Amérique

15 Mai

La première puissance économique mondiale est aussi celle ou les inégalités sont les plus criantes. Quels que soient les indicateurs que l’on prend, les États-Unis sont le pays riche dans lequel les inégalités sociales sont les plus exacerbées. Même l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) est obligée de reconnaître que la mobilité sociale est moins grande aux États-Unis qu’en Europe. Dit plus simplement : le « rêve américain », c’est du vent.

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Si sur le terrain des inégalités sociales les États-Unis sont largement en tête, ils le sont aussi sur celui des inégalités raciales. Il s’agit de la société occidentale la plus ségréguée, celle où le racisme est le plus fort. Un des best-sellers du moment aux États-Unis, « Between the World and Me » de Ta-Nehisi Coates, montre comment les noirs y sont constamment en danger, parqués dans des ghettos, incarcérés en masse, quand ils ne sont pas violés ou lynchés.
Punir les pauvres est devenu la marque de fabrique de tous les gouvernements qui se succèdent aux États-Unis depuis Reagan. Pour trouver quelque chose à sauver de ce modèle, il faut donc faire preuve de beaucoup de mauvaise foi ou avoir recours à d’immenses moyens de propagande.
Voilà une tâche à laquelle s’est toujours attaché le Département d’État états-unien. Durant leur lutte contre le modèle soviétique, les États-Unis se sont dotés de nombreux outils pour vendre « l’american way of life » au reste du monde. Des fondations et des ONG états-uniennes, de concert avec les ambassades états-uniennes, ont ainsi vendu le rêve d’une société états-unienne paisible et prospère.
La fin de la guerre froide n’a pas mis fin à ces programmes. Le programme Young leader, de la French-American Foundation, illustre parfaitement les mutations qu’ont néanmoins subies ces programmes. Ciblé d’abord sur les enfants des beaux quartiers français, qu’il fallait éloigner du spectre communiste, le programme Young leader a permis à de nombreux jeunes bourgeois de découvrir les bons côtés des USA. La qualité de la sélection, associée au coup de pouce que donnait ce passage dans les réseaux de l’Ambassade états-unienne, a donné la possibilité à nombre d’entre eux d’accéder à d’importantes fonctions électives ou responsabilités économiques. Les voyages formant la jeunesse, la plupart d’entre eux sont devenus des relais plus ou moins indéfectibles de l’influence états-unienne sur la société française. La French-American Foundation s’enorgueillit ainsi du fait que plus de 450 dirigeants des médias, de la recherche, de la politique, du secteur militaire et de la culture en France soient passés par ses voyages.
Ce programme d’échanges s’est ensuite ouvert, ces quinze dernières années, à d’autres classes sociales. C’est ainsi que de nombreux acteurs issus de la diversité raciale et sociale française ont pu faire le voyage aux USA. Ce marqueur traduit un changement dans les cibles à convaincre des bienfaits du modèle états-unien.
De nombreuses hypothèses ont été formulées pour expliquer ce changement d’objectifs. La plus naïve, souvent reprise par les heureux bénéficiaires de ces voyages, est que cette générosité aurait pour but d’apporter la démocratie et l’égalité dans nos quartiers. La première puissance mondiale, société inégalitaire et raciste, voudrait donc faire émerger dans ses pays satellites un monde égalitaire ? La réalité est sans doute davantage à chercher du côté des besoins des États-Unis.

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Ce redéploiement répond en partie aux besoins stratégiques des États-Unis, qui exportent aujourd’hui principalement leur guerre impériale au Moyen-Orient, après l’avoir exporté pendant trois décennies dans le sud-est asiatique. L’histoire coloniale et migratoire de la France fait de nos quartiers un réservoir important de ressources humaines, à mêmes, de façon consciente ou non, de tisser des liens entre Occident et Orient, en étant porteur des valeurs états-uniennes.
Paul Patin, porte-parole de l’Ambassade des États-Unis en France, le résumait ainsi en 2010 dans Libération : «Jusqu’en 1989, la priorité de notre politique était la guerre froide. Depuis le 11 septembre 2001, elle est orientée vers le monde musulman. Nous voulons tisser des liens, jeter des ponts.». Pour les derniers naïfs de l’american way of life, n’ayant pas encore compris la motivation des investissements US dans nos quartiers, il ajoutait : « Nous ne jugeons pas les autorités françaises, mais nous avons une longue histoire de gestion de la diversité et elle n’a pas toujours été très heureuse. Nous pensons avoir acquis une expérience qui mérite d’être partagée ». Une expérience qui, comme chacun peut le constater, permet aujourd’hui à la société états-unienne d’être débarrassée des fléaux du racisme et des inégalités sociales.

Ce que résume ainsi Angela Davis : « Bien que la violence de l’État raciste ait été un problème récurrent dans l’histoire des descendants d’Africains en Amérique du Nord, elle est devenue particulièrement remarquable durant l’administration du premier président africain-américain, dont l’élection avait pourtant été largement interprétée comme un signe annonciateur de l’avènement d’une nouvelle ère, une ère post-raciale. »

En somme, comme l’ont démontré les huit ans d’Obama à la Maison Blanche, rien de mieux qu’un noir à la tête d’un pays ravagé par le racisme et les inégalités sociales pour ne rien changer. On reconnait ici le vieil adage du capitalisme : pour que rien ne change, il faut faire croire que tout change.
Les acteurs de cette douille dans nos quartiers sont nombreux et variés. Ils sont tous passés, à un moment ou à un autre, entre les mains soyeuses de Lora Berg, attachée culturelle de l’Ambassade des États-Unis à Paris, ou dans celles de Randiane Peccoud, qui sait dénicher le fort potentiel des jeunes des « minorités visibles » des quartiers populaires.
Réunions au quartier ou invitations à l’Ambassade pour des brunchs ou pour la fête nationale du 4 juillet, les VRP du modèle états-unien sont partout, y compris parfois dans des endroits où ils ne sont pas les bienvenus. Lors de la Marche pour la Dignité, la représentante des USA a pu ainsi accéder au camion tribune, il a fallu que certain(e)s militant(e)s expliquent à cette génération de militantes en mode 2.0 que la participation de l’Ambassade des USA à une marche « révolutionnaire » et placée sous le patronage d’Angela Davis, cela n’allait pas être possible.

La mise en œuvre de cet agenda des USA dans nos quartiers passe évidemment par de nombreux relais, parmi lesquels des fondations et ONG. Dans cet univers, les fondations liées à Soros jouent un rôle d’épouvantail commode, faisant fantasmer les complotistes car elles appartiennent au « grand méchant juif qui contrôle le monde ». La réalité est plus simple. Les fondations de Soros, comme d’autres, sont des instruments au service de l’impérialisme états-unien, ni plus ni moins.
L’histoire des fondations de Soros est d’abord liée à celle de la popularisation de l’american way of life dans le bloc soviétique. C’est en 1979 que Soros lance sa première fondation, qui travaille alors principalement dans les pays communistes d’Europe de l’Est, en venant en aide aux « dissidents communistes ».
À cette époque, l’extrême droite, bien que déjà violemment antijuive, était alignée sur le camp états-unien, afin de lutter contre le péril bolchévique. C’est pourquoi les droites radicales ne trouvaient rien à redire sur le rôle de ces fondations qui finançaient les freedom fighters.
Après la chute du Mur de Berlin, ces fondations ont continué à travailler et promouvoir leur concept de société ouverte, c’est à dire libérale, au sens économique et politique du terme.
Aujourd’hui, ces fondations continuent partout en Europe leur œuvre de promotion du libéralisme. En France, leur engagement dans certains combats peut surprendre si on ne le replace pas dans une grille de lecture historique, au regard de l’objectif poursuivi par l’impérialisme états-unien, à savoir façonner le monde à son image et trouver des relais dans toutes les sociétés pour conforter son modèle de domination.

Stop le controle au faciès
Les fondations de Soros sont, par exemple, à l’origine de la campagne « Stop le contrôle au faciès ! ». Cette campagne est en effet le produit de Humanity In Action, l’une des matrices de l’organisme Studio Praxis.
Tara Dickman, alors employée de Humanity In Action, s’est d’abord mise à parcourir les quartiers à la recherche d’intermédiaires susceptibles de la mettre en contact avec des jeunes ou des associations disposés à porter plainte afin de dénoncer les contrôles au faciès.
Dans un premier temps, Humanity In Action a dû faire face à de nombreux refus polis de la part d’acteurs de quartiers, qui se méfiaient d’une démarche se limitant à un plan de communication et à des actions légalistes s’appuyant sur les partis politiques institutionnels. Humanity In Action voulait en effet que les forces politiques institutionnelles (PS, UDI, UMP, EELV, FG) inscrivent cette demande dans leur programme politique. Ce fut le cas pour certaines d’entre elles, dont le PS (avec le succès que l’on connaît depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande).
Pas étonnant que cette démarche n’ait guère convaincu dans nos quartiers. Nul besoin d’être devin pour comprendre le peu d’avenir d’une démarche qui consiste à quémander justice à ceux qui, par leurs politiques sécuritaires et racistes, ont généré les conditions de ces contrôles massifs et abusifs.
Cependant, le véritable objectif n’était pas là. À force de rencontres et de promesses d’avenir radieux dans une « France Républicaine et Laïque », Tara Dickman a fini par trouver des gens motivés et concernés par son approche judicaire et institutionnelle. « Stop le contrôle au faciès ! » est né et pouvait sortir du giron officiel de Humanity In Action. C’est ainsi devenu une pépinière de militants plus ou moins sincères dans laquelle l’Ambassade des États-Unis et ses relais peuvent aujourd’hui puiser pour faire émerger les leaders racisés de demain qui, comme Obama aux États-Unis, ne changeront rien aux conditions de l’oppression mais permettront de poser un vernis coloré sur le quotidien du système qui nous pressure.

Najat Vallaud Belkacem et Almamy Kanoute en voyage "organisé" aux USA en 2011. L'une deviendra Ministre, l'autre restera militant de quartier.

Najat Vallaud Belkacem et Almamy Kanoute en voyage « organisé » aux USA en 2011.
L’une deviendra Ministre, l’autre restera militant de quartier.

Depuis quinze ans, les heureux profiteurs de ces compagnonnages avec l’Ambassade ou les ONG états-uniennes sont nombreux. Si la situation individuelle de certains a changé en mieux, on ne peut pas en dire autant de la nôtre au quartier. Certains comme Najat Vallaud-Belkacem ont pu devenir ministre, d’autres comme Reda Didi ont pu devenir d’importants conseillers ministériels. Certains, grâce à ces réseaux, ont pu monter leur boite et sauter dans les seconds cercles du pouvoir économique pour donner une couleur quartier à un capitalisme français qui reste majoritairement blanc, catholique et masculin. S’agissant de postes de figurants bien payés, pas étonnant que cela se bouscule pour les auditions à l’Ambassade.

Les voyages forment la jeunesse. Najat Vallaud-Belkacem a choisi de prendre le bon wagon des opportunités et est devenue Ministre.

Les voyages forment la jeunesse. Najat Vallaud-Belkacem a choisi de prendre le bon wagon des opportunités et est devenue Ministre.

Mais il y aussi des gens qui ont fait le déplacement et qui n’ont pas été séduits par l’americain way of life, son business plan et les career opportunities qui vont avec. Ceux-là, on les retrouve dans les luttes du quotidien dans nos quartiers, à prendre des coups sans avoir rien à gagner pour eux, si ce n’est une certaine dignité, même quand ils finissent entre les pinces de la police française.

Les voyages forment la jeunesse. Almamy Kanoute fait le choix de continuer à pied sur le ter-ter.

Les voyages forment la jeunesse. Almamy Kanoute fait le choix de continuer à pied sur le ter-ter.

Et il y a aussi ceux, majoritaires, qui restent dans l’entre-deux, avec à la fois la conscience de ce que sont les USA et en même temps la volonté de profiter du petit rayon de soleil qu’offrent ses réseaux de pouvoir économique et politique pour qui sait s’en saisir. Ceux-là, on les reconnaît à leur engagement, qui est souvent superficiel. Il ne s’agirait pas d’insulter l’avenir. Dans 10 ans, il y a aura peut-être une place à prendre dans le système et il faudra alors pouvoir dire « j’en étais », en racontant la « belle histoire » des jeunes qui se prétendaient racisés et anticapitalistes. Un peu comme Julien Dray, Malek Boutih et tous les pantins de SOS racisme nous racontent aujourd’hui la joyeuse histoire de la lutte contre le racisme en version « touche pas à mon pote ».
Les structures et les luttes qui servent d’ascenseur pour les ambitieux sont des produits importés dans nos quartiers. Il suffit de se souvenir de SOS Racisme et du réseau des Maison des Potes, construits de toutes pièces par des acteurs extérieurs à nos quartiers et à nos luttes. Marcher avec ces réseaux ne fait pas nécessairement de nous des traitres. À condition de rester conscients des agendas de chacun et de savoir garder une distance critique vis-à-vis de ces bailleurs de fonds, il est possible de mener avec eux des combats communs. Le danger pour le succès de nos luttes survient quand on leur laisse dicter nos agendas en assurant, par exemple, le leadership de la représentation publique de nos luttes. Sur des luttes qui existent depuis plus de 30 ans dans nos quartiers, contre les violences policières ou le racisme structurel de la société française, on voit arriver aujourd’hui sur le devant de la scène une génération formée par les États-Unis. La probabilité est grande qu’un certain nombre de ces acteurs sous influence états-unienne nous trahissent ou conduisent nos luttes dans des impasses, ce qui viendra une fois encore semer désillusion et désenchantement dans nos quartiers.

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