On ne nous enterrera pas avec Charlie

14 Jan

Quand on est prêt à mourir pour ses convictions, il faut être certain que cela pourra servir la cause que l’on défend. La plupart des révolutionnaires ou des personnes qui se sont battus et qui ont payé de leur vie pour des idées de justice sociale et d’égalité ont le plus souvent permis de faire triompher leurs idées. Idées qui sont alors portées et prolongées par de nouvelles générations.
L’assassinat de Martin Luther King n’a pas empêché le mouvement des droits civiques d’obtenir des victoires importantes et de devenir un symbole international d’égalité, de lutte contre le racisme et de refus de la violence.

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Même si la stratégie du Pasteur King était contestée et n’était pas hégémonique dans son propre camp, son meurtre n’a pas abouti à une disqualification du combat dans lequel il était engagé. Le KKK et l’Amérique raciste n’étaient pas présents dans les commémorations qui ont suivi sa mort et ne se réclament toujours pas de son héritage politique. Cinquante ans après sa mort, il n’y a toujours pas de partisan de la ségrégation raciale avec des badges « je suis Martin ». Pas plus qu’il n’a été possible de rendre responsables de son assassinat les militants radicaux du Black Panther Party qui critiquaient sa stratégie politique.
Avec la disparition tragique d’une partie de la rédaction de Charlie Hebdo, on peut mesurer à quel point ces figures officielles de la lutte contre le racisme menaient un combat de façade mais avec de mauvais arguments et une ligne politique erronée. Il n’a pas fallu attendre 5 minutes après leur mort pour que tout ce que la France et le monde comptent de racistes et d’islamophobes se solidarisent avec Charlie Hebdo.

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Il est aussi évident que d’autres plus nombreux que les racistes et les islamophobes se sont solidarisés avec Charlie. Nous partageons avec ces nombreux « Charlie », honnêtement anti-racistes, des combats et la conviction que rien, jamais, ne peut justifier ces morts atroces. Nous constatons également que ces assassinats vont avoir de lourdes conséquences sur la lutte contre le racisme et deviennent a contrario la légitimation de toutes les thèses que Charlie disait combattre.

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Le fait que les représentants de tant de gouvernements ou de mouvements politiques qui oppriment soient unanimement présents pour défendre la mémoire de Charlie Hebdo, et qu’ils puissent le faire sans avoir à trop instrumentaliser son œuvre est une preuve supplémentaire que Charlie Hebdo produisait une ligne éditoriale qui pouvait servir les dominants.

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Quand entre autres Jeanette Bougrab, Serge Ayoub Yvan Rioufol, Hollande, Sarkozy, Lepen, Netanyahou, Obama, Cameron, Bongo, Dieudonné … peuvent se servir du travail et du sacrifice ultime d’un groupe militant se proclamant de gauche, c’est que sa ligne politique était au mieux confuse au pire qu’il ne défendait plus la cause pour laquelle il se croyait pourtant mobilisé.
Avec cet enterrement de classe mondiale, les erreurs politiques de Charlie Hebdo et d’une partie de la gauche française dont ils étaient le haut-parleur sautent aux yeux. Cette ligne politique d’essentialisation de la question sociale et d’islamophobie au nom de l’anticléricalisme permet de renforcer l’oppression en annihilant toute possibilité de critique radicalement antiraciste. Pour remplir ce vide de la contestation, nos élites sortent leur diable de confort pour mettre en scène des postures de révolte stérile. Et voilà comment et pourquoi le 14 janvier de bonne heure, Manuel Valls brandit à nouveau le spectre Dieudonné, son clown politique de service.
De Zemmour à Dieudonné la parole raciste va se lâcher, mise en scène par un pouvoir cynique. D’un coté la faute aux juifs de l’autre aux musulmans. Pendant ce temps le CAC40 se porte bien.

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Durant des années Charlie Hebdo a traité la question sociale sous le prisme de la religion et s’est moqué des populations qui prennent de plein fouet les violences sociales et le chômage de masse. Ces journalistes engagés ont cru qu’il était possible d’éteindre les flammes du jihadisme avec des brûlots. Ils n’ont fait qu’empirer la situation. Charlie Hebdo prétendait lutter contre les injustices économiques mais avait choisi la voie du libéralisme en défendant de manière agressive le « oui » au traité européen en 2005, sans parler de la proximité de Philippe val (ancien directeur de Charlie Hebdo) avec Sarkozy, BHL et la droite en général. Pour masquer son alignement sur la gauche libérale il ne lui restait comme posture politique « révolutionnaire » que la haine des religions.
Aujourd’hui leur mort tragique est une opportunité politique pour les classes dominantes d’enterrer toute possibilité de critique reposant sur une alternative politique.
La manœuvre est simple, il faut se soumettre à l’unité nationale et ne rien remettre en cause.
Et là, Valls nous ressort du placard Dieudonné dont les outrances et les propos à l’encontre des juifs vont permettre de légitimer de nouvelles mesures contre les quartiers populaires et ses habitants. Le gouvernement veut réduire les habitants des quartiers populaires à des monstres qui seraient enclins à basculer dans le soutien à Dieudonné, ou à sombrer dans le terrorisme, afin de pouvoir justifier toutes les mesures d’abandon social et de répression politique et policière que nous allons prendre en pleine face.

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Nous savons que les journalistes de Charlie Hebdo n’ont pas été tués par n’importe quelle forme de terrorisme. Ils ont été tués par des gens qui répondaient à la volonté des pouvoirs économiques et politiques français d’entrer dans une logique de conflit de civilisation. Les tak-tak sont les alliés naturels et idéaux du conflit de civilisation. Ils sont des résignés nihilistes qui ont intégré cette vision raciste qui veut que l’on ne puisse être musulman sur le sol européen. La résignation est un suicide quotidien disait Honoré de Balzac. Être tak-tak aujourd’hui, c’est se suicider et vouloir entraîner le monde dans le désespoir, dans une guerre sans fin et surtout dans une impasse politique. Mais dans les quartiers, malgré la répression, les échecs, les souffrances : les nôtres veulent vivre, voir grandir leurs enfants, veiller sur leurs proches, profiter de la vie. En somme rester debout et dignes. Personne ne veut d’un monde gouverné par Al-Baghadi, Hollande, Sarkozy, Poutine ou la Maison Blanche.
Le pouvoir en place sait instrumentaliser tout cela à merveille. Lui, si prompt à lutter contre des menaces comme Tarnac, les mobilisations syndicales, les mouvements de sans papiers, les camps de Roms, les révoltes dans les quartiers… n’a pas trop regardé en direction des tak-tak ces derniers temps. Parce qu’au delà des morts ces attentats ne déstabilisent pas en profondeur le fonctionnement de la société, au contraire ils renforcent les hiérarchies sociales et raciales. Doit-on rappeler que pendant que les services de la DCRI montaient le dossier politique bidon de Tarnac à coup de centaines d’enquêteurs et de juges antiterroristes, dans le même temps elle relâchait la surveillance sur les tak-tak par faute de moyens humains ?
Nous n’avons absolument aucune sympathie idéologique pour les Tak-tak, chacun sait au quotidien dans la vie du quartier comment avec eux, les affrontements sont larvés et réguliers. On n’a pas oublié aussi le fait que le groupe qui a perpétré les attentats de la semaine dernière s’est formé autour de la mosquée de la rue Tanger et que ce petit groupe du XIXème s’est régulièrement fait jeter de cortèges de manifestations auxquelles il souhaitait participer au moment de la 2nde guerre en Irak notamment. C’est souvent les copains du MIB, des militant.e.s politiques de gauche radicale et de quartiers qui en sont venus aux mains face à cette mouvance. On se rappelle aussi qu’autour d’eux s’agitait régulièrement Nouari Khiari, personnage étonnant qu’on trouve dans les réseaux de la droite radicale, satellite du FN. Il a refait surface il y a peu de temps au théâtre de la Main d’Or.

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Comme quoi, les militants qui ont pointé la dérive de Charlie Hebdo ont moins de collusion idéologique et physique avec la mouvance tak-tak que ceux qui poussent à la guerre de civilisation dans la ligne du FN ou pourrissent la situation. On constate simplement qu’ils peuvent le faire tranquillement sans que les phares de médias et de la police les éclairent de trop quand les nôtres croulent sous les procès et la répression, des qu’on bouge un doigt contre les violence policières ou les injustices sociales.

Entre le nihilisme et la révolte il y a une différence. L’État et les pouvoirs économique et médiatique ont toujours su la faire.

Cet attentat renforce le pouvoir en place, parce qu’il s’en prend à des gens qui passaient pour des contestataires de gauche et prépare à une guerre extérieure et intérieure en direction de populations qui subissent déjà le plus gros des violences sociales.
Dans la logique spéculative qui caractérise la mentalité de nos élites économique et politique, ces attentats c’est l’opportunité de tenter de punir les pauvres et de rendre caricaturale toute contestation en l’organisant autour d’un clown chantant lui aussi la marseillaise comme Dieudonné. Leur option est que leur monde n’explose pas et que l’union nationale serve de carcan pour tenir une société qui craque sous le poids des injustices. Ils comptent mettre hors du champ « démocratique » toute forme de remise en question du capitalisme et misent sur l’implosion nihiliste des plus désespérés, et sur les clowneries de Dieudonné et le complotisme pour dévoyer les révoltes.

Ce que ce drame révèle c’est que la société dans laquelle nous tentons de vivre est fragile. La virulence du discours qui martèle qu’il n’y pas d’alternative outre la soumission à l’ordre économique et social d’un côté, le désespoir meurtrier d’un autre et les pitreries de Dieudonné, ne peut le masquer. Ce monde est en train de mourir un autre va naître.« L’ancien se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour, dans ce clair-obscur surgissent les monstres » nous expliquait Gramsci.
Tant qu’il y aura de l’injustice il y aura des personnes qui se battront. L’un des enjeux est aujourd’hui de tenir le terrain et d’organiser la révolte et la colère légitime face aux injustices quotidiennes. Partout ailleurs dans le monde, des populations y arrivent dans des conditions bien plus difficiles.
Les dominants ne peuvent pas nous enterrer avec Charlie Hebdo pour tenter de faire croire qu’aucune révolte n’est possible, même en remettant en scène un clown comme Dieudonné.

15 Réponses to “On ne nous enterrera pas avec Charlie”

Trackbacks/Pingbacks

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    […] Ce matraquage systématique sur les faits d‘armes, réussis ou non, de tak-taks sérieux ou de branquignols armés qui échappent à la vigilance de services veut nous faire croire que l’État peine dans le contrôle de quelques milliers de djihadistes français et qu’il a donc besoin de nouveaux moyens. Cette fable d’un État insuffisamment armé et protégé par son appareil policier et judiciaire ne résiste pas à la confrontation au réel. Il suffit pour cela de constater les moyens que l’État déploie pour protéger les intérêts de ses classes dominantes. Il n’y a pas une manifestation sociale en France qui ne voit pas débarquer son préposé des RG ou de la DCRI pour faire des fiches sur tous les présents. Et l’état manquerait- de moyens pour surveiller à tout casser 10 000 tak-tak en France ? La réalité est tout autre et plus simple que les complots de la dissidence : Les tak-tak sont en France sous un vaste contrôle policier et c’est pour cela que seul des paumés sous cacheton passent à l’acte. Les réseaux structurés sérieusement sont rapidement démantelés. Il n’y a de l’espace que pour les isolés et les égarés joliment mis en scène par les médias. Ajouté à cela que les takfiristes français ne jouissent pas d’une réputation de super guerriers sur la scène internationale et donc n’ont pas accès à des formations très poussées ni a des responsabilités importantes dans la mouvance Jihadiste, ils sont de la piétaille sur le champ de bataille. De l’Irak à la Syrie en passant par la France ils sont de la chair à canon car une partie importante d’entre eux vient des franges les plus asociales de nos quartiers populaires et en gardent certains travers. Nul ne leur fait réellement confiance pour monter des opérations et les réaliser. Même si certains ont envie de les tourner en dérision, il faut prendre en considération le fait qu’ils savent se procurer des armes et s’en servir et que l’idéologie qui les incite à s’engager représente pour nous une impasse mortelle. Les tueries perpétrées en janvier 2015 ou plus tôt par Mohamed Merah sont un rappel du fait que malgré tout ce que l’on peut dire de la mouvance takfiriste, elle a une logique idéologique et se donne des moyens d’action. […]

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