Guignolades et guerres civiles

1 Sep

Vendredi 21 août 2015, un individu signalé par les services secrets de plusieurs pays a pu attaquer sous l’emprise de cachetons un train à l’arme de guerre et se faire neutraliser par des voyageurs parce qu’il venait vraisemblablement d’enrayer l’arme la plus fiable de l’histoire du flingue.
Il y a de quoi être goguenard.
Ce scénario ouvre un boulevard à tous les chasseurs d’illuminatis pour expliquer à qui aura envie de rêver que tout était écrit, que cette attaque est un fake. Les plus audacieux de nos rêveurs verront même dans le déroulé de ce sauvetage par des GIs le savoir-faire d’Hollywood dans une chorégraphie de combat digne de Steven Seagal.

« On n’échappe pas au cliché d’un JT acharné …
On te matraque de guignolade sur le jihad »

Avec de tel faits d’armes, les conteurs d’histoire ont tout loisir de nous mettre en scène des versions alternatives de l’histoire qui leur permettent toujours de dénicher un nom juif ou une ONG yankee au service de l’empire comme preuve ultime d’un complot contre la France.

Ces idées de guignolade, d’amateurisme ou de manipulation du courant takfiriste sont renforcées par le fait que la police et la justice ont poursuivi des groupes comme « Forsane Alizza » mis en scène par les médias qui ont réussi à faire passer des joueurs de « Counter Strike » gavés au grecs-frites pour une réelle menace.

Forsane_Alizza

Ce matraquage systématique sur les faits d‘armes, réussis ou non, de tak-taks sérieux ou de branquignols armés qui échappent à la vigilance de services veut nous faire croire que l’État peine dans le contrôle de quelques milliers de djihadistes français et qu’il a donc besoin de nouveaux moyens. Cette fable d’un État insuffisamment armé et protégé par son appareil policier et judiciaire ne résiste pas à la confrontation au réel. Il suffit pour cela de constater les moyens que l’État déploie pour protéger les intérêts de ses classes dominantes.
Il n’y a pas une manifestation sociale en France qui ne voit pas débarquer son préposé des RG ou de la DCRI pour faire des fiches sur tous les présents. Et l’état manquerait- de moyens pour surveiller à tout casser 10 000 tak-tak en France ?
La réalité est tout autre et plus simple que les complots de la dissidence : Les tak-tak sont en France sous un vaste contrôle policier et c’est pour cela que seul des paumés sous cacheton passent à l’acte. Les réseaux structurés sérieusement sont rapidement démantelés. Il n’y a de l’espace que pour les isolés et les égarés joliment mis en scène par les médias. Ajouté à cela que les takfiristes français ne jouissent pas d’une réputation de super guerriers sur la scène internationale et donc n’ont pas accès à des formations très poussées ni a des responsabilités importantes dans la mouvance Jihadiste, ils sont de la piétaille sur le champ de bataille. De l’Irak à la Syrie en passant par la France ils sont de la chair à canon car une partie importante d’entre eux vient des franges les plus asociales de nos quartiers populaires et en gardent certains travers. Nul ne leur fait réellement confiance pour monter des opérations et les réaliser.
Même si certains ont envie de les tourner en dérision, il faut prendre en considération le fait qu’ils savent se procurer des armes et s’en servir et que l’idéologie qui les incite à s’engager représente pour nous une impasse mortelle.
Les tueries perpétrées en janvier 2015 ou plus tôt par Mohamed Merah sont un rappel du fait que malgré tout ce que l’on peut dire de la mouvance takfiriste, elle a une logique idéologique et se donne des moyens d’action.

Pourtant ils ne sont pas les seuls à partir faire la guerre ailleurs que sur le territoire français. Mais ce sont les seuls qui ont le droit à une couverture médiatique qui dépasse largement leur influence en France.
Ainsi, il n’y a aura pas de reportage télévisé sur la Ligue de Défense Juive, groupuscule sioniste composé de gosses de riches. Les militants qui s’engagent au quotidien en France aux côtés du peuple palestinien savent que ce groupe n’est pas une réelle menace sur le territoire français. Il n’y a que les pleutres qui vivent du commerce de la victimisation comme Soral pour nous survendre leur influence et leur combativité. Chacun peut constater que même équipée pour la bagarre de rue, la LDJ n’est pas composée de super guerriers. Au contraire, c’est souvent protégé par les forces de l’ordre que ce groupuscule arrive à se sortir de situations humiliantes qu’il a lui-même provoquées.
Ces enfants gâtés ne sont pas « dangereux » mais ils ont accès à une formation paramilitaire. Cet été, 25 d’entre eux ont mené des actions violentes à Hébron. Les voyages forment la jeunesse et après un été de « colonisation de vacances » à baigner dans une ambiance paramilitaire, nos 25 guerriers hébreux auront appris à manier des armes de guerre. Mais aucun d’eux ne sera gratifié de la même couverture médiatique que les idiots de « Forsane Alizza » qui faisaient des roulés boulés dans la campagne française.

Krampon_Quenel+

Les nationalistes français ne sont pas en reste. Leur terrain de jeu c’est aujourd’hui le front ukrainien, comme leurs anciens allaient sur le front yougoslave. La grande majorité d’entre eux a choisi de soutenir Poutine, nouveau bailleur de fonds du FN et de l’extrême droite européenne, tandis qu’une infime minorité a rejoint le camp ukrainien. Il est drôle de constater que, majoritairement, les nationalistes italiens s’engagent plutôt côté ukrainien quand les Français le font côté russe. Un peu comme pour la guerre en Yougoslavie où on retrouvait les collègues gudards de Frédéric Chatillon dans les forces croates catholiques quand d’autres plus minoritaires rejoignaient les forces orthodoxes serbes. Ce théâtre d’opération avait pour les militants d’extrême droite le mérite de cibler un ennemi commun : les musulmans de Bosnie. Aujourd’hui, ceux qui en reviennent d’Ukraine regrettent l’absence de musulmans à tuer sur le front.Ça se tue entre blancs et chrétiens. C’est triste.

Certains peuvent sourire face à une extrême droite française prête à se tirer dessus et sur ses camarades européens pour des contradictions idéologiques concernant ce que doit être la « grande Europe ». Il n’empêche que ces combattants sont en train d’apprendre comment se mène une guerre civile. Ces militants ne sont pas discrets du tout et certains ont même un casier et un lourd passif.

Les renseignements que l’on peut obtenir sur la chair à canon en Syrie, les colons de vacances en Palestine et autres mercenaires en Ukraine sont accessibles par Facebook, rapportés par les intéressés eux-mêmes. On peut aussi compter sur des médias type « vicenews »pour faire des reportages en images et dévoiler ainsi les binettes de certains soldats de fortune.
Si le commun des mortels peut trouver des infos concernant ces mouvances, c’est que les services de renseignement et les médias dominants le peuvent aussi. Mais ils ne souhaitent simplement pas regarder dans cette direction.

Ces groupes identitaires, nationalistes français, sionistes ou takfiristes participant à des actions de guerre sur des théâtres extérieurs n’ont pas tous la même couverture médiatique mais leurs menaces réelles ou fantasmées mise en scène par les médias permettent à l’État français de développer un arsenal policier et judiciaire qui s’abat concrètement sur d’autres, qui eux remettent profondément en cause l’ordre économique en place.

Ainsi, la DCRI, en matière d’antiterrorisme, ces dernières années, préfère monter des dossiers bidon comme celui contre le groupe de Tarnac. Les mouvances qui sont concrètement dans le collimateur du pouvoir en France pour terrorisme c’est la « gauche radicale», ultra surveillée et réprimée. Ce n’est pas sans raison que les partis de droite et le patronat voulaient assimiler certaines actions de syndicalistes à du terrorisme. La gauche radicale combat les injustices sociales et s’en prend aux tenants de l’ordre établi en s’attaquant aux symboles et parfois aux représentants de l’ordre économique en place. C’est pour cela que n’importe quel soutien de « sans-papiers » ou militant.e.s dénonçant les violences policières est plus surveillé qu’une personne qui part prendre les armes pour défendre une « civilisation supérieure ».
Pour le pouvoir en place, il y a un terrorisme utile parce que ses dommages collatéraux créent des tensions dans les classes populaires et divisent les populations.

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A contrario, une menace d’ultragauche contestant l’ordre est tellement dangereuse aux yeux de l’État qu’il veut l’anéantir avant même qu’elle n’ait causé de dégâts.
Parmi les groupes politiques qui sont sous très haute surveillance et qui subissent une répression policière et judiciaire sous le coup des lois antiterroriste, on trouve les mouvements autonomistes socialistes comme les basques d’ETA dont plus d’une centaine de militants sont incarcérés en France malgré le cessez-le feu permanent proclamé par leur organisation. Les groupes politiques d’extrême gauche et particulièrement ceux rattachés à des partis communistes turques et kurdes subissent eux aussi la répression féroce de l’état français. À titre d’exemple parmi d’autre, Adem Uzun, a été arrêté le 6 octobre 2012 dans un bar de Montparnasse, dans le cadre d’une enquête menée par le juge antiterroriste Thierry Fragnoli pour son appartenance présumée au PKK alors qu’il venait en France faire une conférence à l’Assemblée Nationale à l’invitation d’élus communistes. Les activités politiques et culturelles kurdes sont systématiquement criminalisés par l’État français.
Pour arrêter des militants de ces partis politiques, la France mobilise son arsenal policier et judiciaire sensé nous protéger des tak-taks. Ainsi, la cour d’appel de Paris a prononcé des peines aggravées à l’égard de quinze personnes accusées d’être membres du DHKP-C en 2012. Elles ont toutes été reconnues coupables d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et de financement d’une organisation terroriste. Les condamnations prononcées sont allées de deux à sept ans de prison ferme. La Cour a également ordonné la fermeture de l’Anatolian Culture and Solidarity Association pour ses prétendus liens avec le DHKP-C.
Les militants politiques turques et kurdes sont les plus durement réprimés par les « démocraties » (la Turquie, la France, les USA, etc.) alors que ce sont eux qui sur le terrain sont le fer de lance contre Daech, qui est présenté comme l’horreur absolue essaimant des tueurs à travers le monde.

valls_terrorisme

Le gouvernement turc est complaisant avec Daech et tire sur les forces révolutionnaires kurdes dont tout le monde, y compris les États qui les ont classés comme « organisation terroriste », reconnaît qu’elles sont efficaces sur le plan militaire tout en étant porteuses d’une éthique. Quand l’État turc et ses services secrets réalisent des attentats en France contre les militants kurdes, la France ne fait pas d’enquête très poussée comme en témoigne l’enquête bâclée et à décharge de l’assassinat de trois militantes kurdes à Paris en 2013.

Dans les faits, pour l’État français, la mouvance takfiriste et son cortège mortifère sont plus tolérables que des militants de gauche radicale. Alors fatalement, les fascistes sur le front ukrainien qui répètent leurs gammes pour un éventuel récital dans l’hexagone contre « l’ennemi intérieur » ça n’est pas une priorité. Idem pour la LDJ en vacances à Hébron.
Tant que le sang qui coule est celui des pauvres qui se bouffent entre eux pour des motifs cultuels, culturels ou raciaux, la machine à faire du fric tourne à plein régime et les dirigeants sont à l’abri de toute forme de contestation sociale.

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