De larges fractions des nôtres ne croyant plus en rien, ni en un monde meilleur au ciel, ni en un monde meilleur sur terre (paradis céleste ou paradis communiste), il y a désormais la place pour des croyances et des représentations plus ou moins raisonnées, qui se construisent notamment autour des dominations et des oppressions réelles qui s’exercent dans les quartiers populaires. C’est dans ce contexte que prospère dans nos quartiers la perception que trois grands acteurs tirent les ficelles du « système » : les juifs, les illuminatis et/ou les francs-maçons.
En France, le point d’appui le plus structuré de cette pensée se trouve être aujourd’hui la nébuleuse « dieudo-soral ». La vulgarisation de cette pensée passe par le rabâchage. Nous n’en sommes plus à l’ère des foules de Gustave le Bon mais on a gardé la même mécanique, à la puissance décuplée par internet : l’effet de répétition.
Parler du système, des juifs, des francs-maçons et/ou des illuminatis, partout, perpétuellement, sans trêve ; publier des livres ou des vidéos, monter des spectacles, user du rire et de la dérision pour faire passer ses idées : tout est bon pour faire monter la sauce.
Se battre même, quelques fois, pour que cela retentisse plus noblement mais surtout, ne jamais parler d’autre chose. Telle est la recette.
Le sionisme et sa déclinaison pratique dans les politiques racistes de l’état d’Israël, les familles capitalistes de Londres, New-York, Paris ou Berlin, les unes régulières des grands journaux sur les secrets des francs-maçons et les dérives morales des élites médiatiques et républicaines font le reste pour travailler l’imaginaire des nôtres.
A cela s’ajoute la complicité et la duplicité d’hommes politiques comme Manuel Valls, qui viennent à travers leurs actions mettre une pièce de plus dans la machine à tricoter les complots.
Tous ces ingrédients forment un cocktail explosif dont il nous faudra bien un jour payer les dégâts.
Alors que le pays est en proie à des souffrances sociales grandissantes, que le chômage et la précarité continuent de gagner du terrain, que la politique d’austérité engagée depuis plusieurs années fait des ravages durables dans nos quartiers et que les politiques et actes racistes et islamophobes se multiplient, les dirigeants socialistes savent que les conséquences de leur politique au service du patronat français leur aliène l’électorat des quartiers populaires. C’est pourquoi, ils ont décidé de mettre leur petite pièce dans la machine à tricoter les complots, pour nous maintenir dans des révoltes stériles et caricaturales qui rendront légitimes toutes les politiques coercitives et de confinement social en direction des quartiers populaires. C’est là tout le sens de la mise en orbite médiatique de Dieudo et Soral par Valls. L’acharnement policier et judicaire de Valls sur Dieudonné est le premier outil de cette stratégie. Après avoir construit la figure médiatique repoussoir du sexisme en banlieue avec Ni pute Ni soumise, on va construire celle de l’antisémitisme patent des quartiers populaires à travers la lutte contre Dieudo et Soral.
Faut-il pour autant se solidariser avec Dieudo ? Faut-il oublier le rôle qu’il a accepté de jouer ? Soutenir Dieudo sous prétexte qu’il est face à Valls, c’est être un idiot utile du PS. C’est précisément ce que souhaite le PS : que l’on soit caricatural et que l’on perde notre temps dans des combats malsains qui nous amènent à côtoyer des racistes et des antisémites comme Faurisson, Soral, Ayoub, Blanrue, Chatillon, etc.
Dieudo a voulu jouer au militant antisystème avec l’extrême droite, c’est lui que ça regarde. Ça fait 10 ans qu’il vit confortablement de cette alliance avec l’extrême droite. 10 ans que l’extrême droite antisémite française se sert de lui pour faire oublier son bilan politique historique : celui de la collaboration avec l’Allemagne nazie et celui du génocide des juifs, des slaves et des tziganes ; celui de la Seconde Guerre mondiale qui a laissé l’Europe en ruine. Cette extrême droite, grâce à Soral, a su utiliser un noir pour dynamiter les barrières morales qui empêchaient son retour. Dieudo, par son humour et son talent, a permis de réhabiliter un courant politique que l’on avait jeté au fond des poubelles de l’histoire. C’est le talent de Dieudo qui a permis que des dizaines de milliers de personnes applaudissent Faurisson et que des dizaines de milliers d’autres regardent les vidéos de Soral.
Et l’on devrait se sentir en empathie avec Dieudo, empêtré dans un mauvais combat ? Dieudo finira probablement ruiné par Valls pendant que ses maitres quenelleurs continueront, après l’avoir abandonné, à profiter de l’espace politique et médiatique que ses sketchs leur auront ouvert.
Dieudo prend ses fans pour des pigeons en les appelant à cotiser pour payer ses frais de justice alors qu’il possède plusieurs centaines de milliers d’euros en cash planqués sous son lit et certainement ailleurs. En voilà une belle « quenelle » !!!
Ce rapport à l’argent est révélateur de beaucoup de choses dans cette galaxie antisystème. Dans nos quartiers, chacun sait que « l’on ne prête son vice qu’aux autres ». Or un des points communs entre tous ces acteurs de l’antisystème est précisément leur obsession de l’argent.
Il y a plus d’un siècle, Leon Bloy expliquait dans son ouvrage « le salut par le juif » que l’antisémitisme était la religion de l’argent : « ça marchait ferme, les gros tirages se multipliaient et les droits d’auteur s’encaissaient avec une précision rothschildienne qui faisait baver de concupiscence toute une jalouse populace d’écrituriers du même acabit qui n’avaient pas eu cette plantureuse idée et qui résolurent aussitôt de s’acharner aux mêmes exploits ». On pourrait croire cette citation du 19ième siècle tirée de la grande bataille d’égos entre Marc Edouard Nabe et Alain Bonnet de Soral.
Il y a un siècle, l’antisémitisme était déjà un travail rentable. De la même manière, à l’heure d’internet et du PayPal, la lutte contre « le système » est un secteur prospère. L’antisystème est aujourd’hui un travail à temps complet, qui permet de mettre tous nos échecs sur le dos des juifs, des francs-maçons et/ou des llluminatis, se substituant à toutes les espérances en un monde fraternel et solidaire et à tous les combats pour le faire émerger.
Cette posture assure à celui qui s’y adonne la conviction d’être un résistant ayant percé le secret du complot mondial. Mais quel secret ? Tous les trois mois, des journaux comme l’Express, le Point ou le Figaro publient des unes sur le pouvoir des francs-maçons. Sur YouTube, les vidéos sur les illuminatis sont en libre accès. Le réseau de distribution Soral nous vend des livres, des DVDs, des t-shirts, des casquettes, des bouteilles de vin, des stages de survie, etc. Pour un complot secret, beaucoup sont au courant et beaucoup de petits entrepreneurs en vivent.
Et tout ça pour quoi ? Pour nous expliquer que le monde irait mieux sans les juifs ? C’est ça le projet ? Encore faudrait-il oser le formuler clairement, arrêter avec les ellipses et les vidéos « face cachée » à la Mathias Cardet (le copain de Roger Holleindre) où l’on égrène sans fin des noms de juifs pour habiller chacun des malheurs qui nous frappent.
Pendant que l’on perd son temps à dénicher le financier juif on n’en oublie de regarder la finance tout court, celle qui n’a pas de patrie, pas de culte, mais qui fait fonctionner le capitalisme au profit de ceux qui détienne l’appareil de production.
Quand Dieudo se met en scène en militant antisystème, c’est tout cela qu’il nous vend, en plus de nous faire rire dans ses spectacles. Et ce petit plus, ce petit supplément, c’est précisément ce qui fait de lui un tirailleur au service de l’extrême droite.
Qu’il trouve donc des soutiens du côté de ses maitres quenelleurs d’extrême droite mais pas chez nous.
Soutenir Dieudo aujourd’hui, c’est soutenir le compagnon de route d’Alain Soral qui appelle à voter pour Marine Le Pen. Tout cela contribue à amener Marine Le Pen au pouvoir.
Nul doute à avoir sur « l’affaire Dieudo » : les quartiers populaires et leurs habitants en paieront la lourde addition. Mais au moment de payer, nous saurons nous souvenir du rôle de chacun.
A cet égard, que ceux qui ont dégradé il y a peu la fresque dessinée en hommage au groupe Manouchian dans le 20ième arrondissement de Paris se souviennent bien ce que l’Histoire enseigne :
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